Vide. La gare routière de Pékin est
vide. On s’inquiète. Comment le pays le plus peuplé au monde peut-il avoir une
gare entièrement vide ? Le bus pour
Erlian, la frontière Mongole, part-il vraiment d’ici ?
Ahh c’est bon. Nous ne sommes
plus seuls. Deux personnes sont entrées dans la gare.
Nous sommes désormais dans une
gare presque vide où deux personnes attendent (nous) tandis que deux autres
jouent au badminton (eux). Normal quoi.
Une heure passe. Toujours
personne d’autre que nous 4. Flo va demander pour la Nième fois à deux
écervelées qui travaillent là, ce qui se passe.
Pourquoi ne pouvons nous pas
acheter nos billets ? Pourquoi le bus qui était sensé arriver il y a une
heure n’est toujours pas là ?
Les deux filles qui n’avaient
d’égal à leur laideur que leur intelligence pouffent de rire. Nous n’avons pas
notre réponse.
Environ une demi heure plus
tard, un homme entre dans la gare. Il se dirige vers les guichets vides. Cette
constatation faite, il entre dans la loge des laides et entame une
conversation. La loge communique avec le guichet. L’une des laides se rend donc
derrière son guichet. L’homme reprend sa place initiale et parvint a avoir son
ticket. Flo fonce derrière lui et quand vient son tour, demande à nouveau un
ticket pour Erlain. La laide lui fait à nouveau comprendre qu’il lui faut
regagner sa place. Elle referme le guichet pour rejoindre sa pair avec qui elle
continuera d’exposer les derniers textos reçus sur son téléphone.
Les joueurs quittent la gare.
Une SDF tente sans succès de nous faire abandonner quelques yuans avant de
rejoindre les WC où elle s’y enfermera quelques 40 minutes.
Un nain entre dans la gare. Il
se dirige dans notre direction. Nous comprenons le mot « ticket » et
le mot « money ».
Il veut que nous le payons pour
les tickets. Le hic c’est qu’il nous fait comprendre qu’il ne peut pas nous
donner les tickets sur place. Il veut que nous le payons et que grâce à cet
argent, il aille nous acheter les billets de bus. On lui fait comprendre qu’on
ne paiera que lorsque le bus sera là, ou alors qu’il sera en possession des
tickets.
Il erre dans la gare.
Plus tard, un couple entre en
scène.
Le nain leur parle.
L’homme ressemble étrangement à
Drogo le leader des Dothraquis. Il parle
au nain dans un Dodhraquis revisité. Flo s’approche de l’homme.
Alléluia !!!! Il parle couramment anglais.
Drogo nous dit qu’il a dû payer
le nain pour que celui-ci lui rapporte d’ici 20 minutes les tickets de bus.
Puisque les Dothraquis se fient
au nain, nous les suivrons !
Un bossu pousse la porte de la
gare. Il s’approche de moi. Je touche sa bosse. Il continue son chemin. Un
bruit sourd s’écrase sur l’une des portes en bois. Nous regardons dans la
direction de la porte. Un corbeau mort y est planté par un couteau mal
aiguisé. Mauvais présage… Je ne me
souviens plus très bien si le présent paragraphe (et lui seul !) s’est passé
dans la gare ou simplement dans ma tête. Croyez ce que vous voudrez ;
croyez ce qui vous souffle l’enfant qui est en vous.
Le nain était en fait allé au
guichet. La laide ouvre son guichet et accepta le plus banalement du monde de
lui vendre les 4 tickets. Ceux des Dothraquis et les nôtres . Le nain
revint vers nous, les tickets en main. Il ne nous les donnait pas. Il voulait
les donner lui même au conducteur.
Encore un élément étrange !
Etrange. Etranger. Trajet.
Stratégie. Agité. Argent.
Ces éléments se bousculaient dans
ma tête et l’explication devenait limpide : Les laides ont vu en nous
« riches étrangers », des proies faciles. Non, elles ne nous auraient
pas vendu directement les billets pour ce trajet. Elles appelleront leur copain
le nain. Le nain nous fera comprendre, conformément à la stratégie mise en
place avec les vilaines, que pour acheter un billet pour Erlian, on est obligé
de passer par lui. Il s’agite, fait mine de surveiller le parking de la gare
routière. Il passe des prétendus coups de fil où nous reconnaitrons le mot
« Erlian » dans la conversation. Il aura son argent, dont il
partagera sans doute la plus-value faite sur le coût normal du ticket avec les
deux laides.
Quant à nous, nous ne saurons
jamais de combien nous nous sommes fait avoir. Ce n’est pas la première fois
dans le voyage. Ce ne sera pas la dernière. Ca fait parti du voyage.
Le bus arrive à moitié plein.
Installée sur le premières couchettes, une française répondant au nom de
Virginie avait élu domicile à Pékin. Elle devait passer cinq minutes en
Mongolie pour avoir le tampon de sortie du territoire Chinois, comme l’exigeait
son visa.
Le bus part. Il éteint les
lumières. La nuit s’installe.
Le noir devint bleu marine. Bleu-gris.
Gris. Lorsqu’il devint rouge-orangé, nos yeux s’éveillèrent.
Vide. Le paysage est vide. A
perte de vue… rien. Juste une terre qui se craquelle sur laquelle seules
quelques touffes d’herbes rebelles se dressent.
C’est le plat total. Pas une
colline. Pas une maison. Pas un chat.
D’habitude, le premier oeil
s’ouvre, note les repères (par exemple Bus, Chine, lever du soleil) et se
referme pour ne se rouvrir que quelques heures plus tard, à l’heure où le bleu
marine est devenu jaune pâle.
Mais cette fois-ci, le premier
oeil s’ouvre, puis le deuxième oeil pour confirmer l’information. Les main
frottent les yeux pour confirmation de la confirmation.
C’est confirmé. C’est le premier
désert que je vois de ma vie : Un désert au lever du soleil.
Flo est lui aussi émerveillé.
Cette solitude a quelque chose de captivant. Il n’y avait rien à voir mais nous
regardions.
Les Dothraquis qui dormais dans
les couchettes situées juste devant nous, s’éveillèrent. Ils ne jetèrent pas un
coup d’oeil à ce paysage. Ce sable les laissait de marbre. Tu me diras c’est
assez logique pour des Dothraquis.
Alors que nous avions sympathisé
avec eux, ils nous expliquaient qu’en tant que Mongols, ce paysage était des
plus habituels. « C’est ça la steppe » nous dit Drogo qui s’appelait
en réalité Erko.
Nous apprîmes plus tard que nous
avions traversé les steppes de Xilamuren en Mongolie-intérieure (partie de la
Mongolie annexée par la Chine).
Le bus nous laissa au milieu de
… nulle part. Erko que nous suivions
baragouina avec l’un des chauffeurs d’un voiture qui attendait là. Puis, il
nous informa de la situation.
-
« Erko :
Cet homme va nous emmener au centre-ville d’Erlian où nous nous reposerons un
peu avant de trouver une voiture qui veuille bien nus faire traverser le no
man’s land »
Nous acquiesçons, trop contents
d’avoir des explications sur ce trajet qui devait être l’un des plus compliqués
de notre voyage, des dires des bloggeurs qui ont eu à passer en Mongolie par le
voie terrestre.
Le conducteur nous dépose face à
un immeuble immonde qui se prétend hôtel. Il y avait 3 ou 4 chambres des plus
glauques où nous devions nous reposer 4 heures. Le reste de l’hôtel servait
d’usine d’empaquetage de jouets.
Toute la famille qui vivait là
se rassemblait dans une pièce encore plus glauque que les autres où les pistolets
à eau, les figurines et les maquettes étaient entassées. Tous les membres de la
famille mettaient la main à la pâte pour emballer les produits dans des boîtes
en plastique. Et hop , ça partait au rez-de-chaussée pour être vendu.
Erko frappa à notre porte.
« C’est bon, j’ai trouvé une voiture » nous annonça-t-il. Pour
notre part, nous nous serions bien passés de véhicule puisque nous avions
l’habitude de passer les frontière à pieds. Ici cependant, il était interdit de
passez le no man’s land autrement que motorisé.
Nous nous entassions donc à cinq
(les Dothraquis, Virginie, et nous) dans une jeep aux allures soviétiques
remplie à raz bord de denrées qui devaient, elles aussi, passer la frontière.
Une Jeep aux allures soviétiques
|
Comment remplir une jeep à raz bord? |
Nous quittons la Chine. Nous
traversons le no man’s land et nous arrivons à la frontière Mongole.
Nous ne faisions pas les fiers.
En effet, depuis le mois d’aout dernier une nouvelle réglementation
s’appliquait aux visas mongols pour les ressortissants français. Nous n’avions
désormais plus besoin de visa. On nous apposera un tampon à la frontière.
Ca c’était ce qui était écrit
sur le site de l’ambassade de Mongolie en France.
En revanche, sur le Lonely et
sur le Routard, il était écrit clairement que les français devaient s’être fait
délivrer au préalable un visa pour pouvoir frapper à la porte de Gengis kan.
D’autres ressortissants anglais et français que nous avions rencontré en Chine
nous confirmaient la version des guides touristiques.
Que faire ?
Notre flemme aura décidé pour
nous. A Beijing nous n’avions en effet aucune envie de perdre notre temps au
consulat de Mongolie, à la localisation excentrée. On prendra donc le risque de
faire confiance à l’ambassade mongole située en France.
Arrivés à la frontière Mongole
on s’en voulait. Les agents n’avaient pas l’air commode. Pourquoi n’étions nous
pas passés au consulat de Beijing ? « On est bête, on est bête, on
est bête »...
Ca y est c’est au tour de Flo.
Il sort son passeport. L’agent l’ouvre et ne voit … pas de visa. Elle fronce
les sourcils. Elle regarda à nouveau la couverture du petit carnet. « Wait
here » imposa-t-elle. Elle partit dans les bureaux.
Ma file à moi avait avancé.
C’était maintenant mon tour. Même scénario. Je devais rester là. Ne pas avancer
d’avantage.
Les Dothraquis, qui étaient ici
chez eux, étaient passés comme une lettre à la poste et nous attendaient depuis
maintenant 10 minutes.
« On est bête, on est bête,
on est bête » ne cessais-je de me répéter. Le premier agent, celle de Flo,
revint. On ne put rien lire sur son visage. Elle regarda Flo, ouvrit le carnet
marron aux écussons de la France et fit retentir son coup de tampon. Une fois.
Deux fois. Elle jeta quelques mots à l’intention de mon agent et à nouveau les
coups de tampon brisèrent le silence. Un souffle de soulagement.
Nous devions être les premiers
français à passer par cette frontière là sans visa préalable. Je rejoignais Flo
et tapais dans la main qu’il me tendait en signe de victoire.
« Nous aurions été bête de
perdre notre temps au consulat » nous répétions nous maintenant, heureux
d’avoir passé cette frontière.
Notre jeep soviétique nous
rejoint pour nous mener à Zumin Yud, la ville la plus proche.
Nous traversons encore la steppe
pendant 10 minutes et nous arrivons aux cubes de béton posés au milieu de ce
nulle-part pour former une ville.
En route vers Zumin Yud |
Virginie nous quitta là, pour
rejoindre la frontière Chinoise puis beijing où elle vivait. Quant à nous
quatre, nous prenons nos billets de train pour la capitale Mongole.
Sur le quai, Flo et moi
admirions notre train. Oui c’était un voyage, mais un voyage dans le temps. Il
ressemblait aux trains que nous utilisions dans les années 40. Mais qu’avait-il
de plus que les autres ce train ? Car en effet, au cours de notre périple nous
avions pris beaucoup de vieux trains.
Oui, mais celui-ci paraissait
neuf. C’était un train aux formes et au design ancien mais d’une propreté
irréprochable, sans le moindre rafistolage de tôle, sans la moindre bosse, et à la peinture
encore luisante.
De là où nous nous trouvions
nous ne pouvions voir ni la première voiture, ni la dernière. C’était un train
infini. Devant la porte de chaque voiture, un contrôleur vérifiait nos billets
et nous conduisait à notre cabine. Oura, nous étions tous les 4 !
Les Dothraquis |
Nous deux. |
Nous 3! |
Encore une fois les Dothraquis
vivaient une situation normale. Quant à nous, nous appréciâmes chaque
découverte de ce voyage dans le passé.
Le sifflet retentit. Le train
partit en suivant cette cadence régulière que l’on n’entend plus sur nos jeunes
TGV.
Les paysages qui défilaient
continuaient de nous captiver. La steppe, la steppe, la steppe.
Parfois nous apercevions au loin un train qui allait dans le sens inverse du notre. Sauf que c’était le notre ; Un train tellement grand que lorsque les premiers wagons avaient passé le virage d’une épingle à cheveux faisant ainsi demi-tour, le reste du train conservait sa trajectoire initiale.
La steppe à la tombée de la nuit |
A l’horizon, il n’y avait que le
noir. Un noir trahi par cette ligne de petits carrés jaunes qui s’éteignaient
les uns après les autres.
Parfois, dans la nuit, dans le
rien, le train s’arrêtait. On se dirigeait vers la porte du wagon, on l’ouvrait.
Elle grinçait. On sautait dans le sable, et le vent nous recouvrait de sa
couverture glaciale. L’infinie prenait
son sens.
Un noir totalement noir, un
silence criant et autant d’étoiles que de graines de sable.
Le froid nous pénétrait. Puis
les petits carrés jaunes reprenaient lentement leur danse régulière. Nous
remontions à bord, nous refermions la porte. Toujours ce grincement et puis, un
questionnement. Pourquoi le train s’est-il arrêté là, au milieu d’un désert
déserté. Quel était le voyageur qui attendait ici sur un quai improvisé au
milieu du rien ?
Un enfant dans un rêve qui avait
trouvé dans la poche de son pyjama rayé un billet pour le royaume des licornes?
Un vieil homme habillé de haillons, aux traits tirés, le balluchon rempli
d’herbes et de poussières au pouvoir mystérieux ?
Qui que ce fut, le train
conservait son anonymat et les carrés jaunes, de plus en plus rares,
continuaient leur farandole.
Notre carré jaune s’éteignit. Le
chant du train m’endormit.
Au petit matin, la magie s’était
dissipée. Le rien était rempli d’arbres au feuillage vert, jaune et rouge, de
chevaux sans cornes, de chèvres et de moutons en liberté, de maisons rondes
(les yourtes) à la cheminée déjà en activité.
Au petit matin, un paysage changé. |
Premiers chevaux en liberté |
La laideur d'Oulan Bator se profile... |
Sur le quai de la gare, nous
attendions l’homme de confiance ; Celui à qui la mère d’Erko avait confié
les clés de sa voiture garée sur le parking face à nous. Une fois trouvé
l’homme et l’auto, Erko nous conduisit à notre guest-house et disparu par la
même magie qu’il était apparu dans cette gare vide.
Expatrié en Pologne, il faisait
un dernier saut auprès des siens et devait repartir 3 jours plus tard pour son
pays adoptif avec sa belle.
La légende dit que pour les plus
chanceux de ceux qui ont vécu une nuit de magie, une part de celle-ci se
réalise.
Nous étions de ces plus
chanceux. Parce qu’en fouillant bien dans le fin fond du répertoire de notre
téléphone, nous avons trouvé inscrit le nom d’Erko, ce Drogo dont on se demande
aujourd’hui s’il n’est pas sorti d’une lampe qu’on aurait frotté par
inadvertance.
Un jour peut être que la magie
ira jusqu’à nous l’amener en France.
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