dimanche 23 mars 2014

Un corps ennemi

Ca y est nous y sommes ! Les portes de Manang s’ouvrent à nous comme pour nous souhaiter la bienvenue à ce premier village de haute altitude. Comme conseillé par tous les locaux et trekkeurs habitués, nous avions prévu d’y faire une halte de 2 jours pour que notre corps s’habitue au manque d’oxygène et produise les précieux globules rouges dont nous aurons besoin pour aller en haut.

Nous étions informés depuis le commencement de notre treck du problème du mal d’altitude qui touchait certains trekkeurs, de ses dangers et ses symptômes (maux de tête et vomissements) mais evidemment nous ne l’envisagions pas pour nous (et moi encore moins pour moi)…

Deux insouciants sur la route
Depuis Pisang, un léger mal de tête me taraude, mais pas suffisamment pour m’en inquiéter aussi me tus-je sur ce mal et parvins-je  sans encombre à Manang.

Entre Pisang et Manang
Une Guest house aux allures chaleureuses de chalet de montagne accepta notre deal habituel de radins (pas de paiement de la chambre mais souper et petit dej sur place) et c’est ainsi que je décidai de me reposer quelques instants pour palier à ce mal léger mais coriace mal. Après dix minutes de repos, le mal de crâne frappait désormais à coups de marteau dans ma tête, mon corps se débarrassa des ingrédients ingurgités dans la journée et toutes mes forces semblaient s’être envolées.

La propriétaire de la Guest House affirmait à Florent que ça touchait beaucoup de personnes à cette étape. J’étais pourtant la seule à vaciller entre ma chambre et les toilettes cette nuit là.

Mon corps ne parvenait pas à garder ne serait-ce que l’eau chaude que m’amenait attendrissement Flo, lequel me répétait qu’il fallait que je m’hydrate. Je voyais dans son regard, qui se croyait pourtant rassurant, que je devais être dans un sale état. A un moment dans la nuit la propriétaire frappa à la porte et annonça à Flo que le médecin des montagnes ne pourrait pas être là avant 4 jours.

-« Si tu ne parviens pas à t’hydrater, comment allons nous faire pour redescendre ? » me questionna-t-il  sans réellement attendre de réponse.

- « Laisse moi un nuit, peut être que demain mon corps se sera habitué»  lui dis-je.

Au rythme des coups de marteaux et entre deux voyages aux toilettes  mes pensées se bousculaient dans ma tête. Je me souvenais de ce jour, la veille du dernier partiel d’un semestre (donc avec déjà pas mal d’heures de sommeil manquantes) où je devais apprendre un poly de 150 pages de droit des transports terrestres et aériens (cours évidemment où je n’avais pas mis les pieds) et pour m’en sortir je m’étais dit : « Il faut voir le truc comme un test : mon corps et ma mémoire me permettent-t-ils d’apprendre un cours en une nuit ? ». Après une nuit de travail, une sieste de 20 minutes et un partiel de 2 heures, j’y étais arrivée ! (Bon en rentrant chez moi je me suis endormie dans le metro mais mon corps m’avait permis ce que je voulais et c’était le principal). Je me souvenais des nombreuses montées de stress que j’avais imposé à mon corps au cours de l’exercice de ma profession ou encore lors de la bataille que j’avais menée contre ma banque, qui après m’avoir formulée une offre de prêt que j’avais acceptée, ne voulais plus libérer les fonds à mon attention. A tous ces moments  mon corps était mon allié le plus fidèle. Il ne m’avais jamais trahi, jamais fait faux bon, il ne se plaignait pas et acceptait tout.

Et maintenant que je me trouvais en montagne, il s’opposait à moi,  il ne m’obéissait plus, il m’échappait, il était devenu mon ennemi contre lequel toute bataille aurait été vaine. POURQUOI MOI répétais-je dans mes sanglots occasionnés par la douleur du mal de crâne et par la constatation de mon échec. Car oui il était évident à présent que je ne pourrais pas monter à 5400 mètres alors qu’à 3500 mètres je me pliai de douleur. Flo tentait de me consoler. Il était là, rassurant. Je ne le croyais pas quand il me disait que tout rentrerait dans l’ordre mais j’aimais entendre ces mots.

Au petit matin et après la nuit la plus longue de toute ma vie, le mal de tête se dissipait. Je parvenais à garder l’eau que je buvais et plus tard dans la journée, à garder les aliments. Avec 12 heures de retard mon corps avait enfin compris qu’il fallait produire des globules rouges. Houra !

Je ne savais plus quoi faire : redescendre ou continuer en espérant que ça ne me reprenne pas. La décision fut pris par Flo « On redescend et c’est pas négociable » m’annonça-t-il. Je savais son envie de voir des Yack depuis le début du treck (les yack se situant au dessus de 4000 mètres) et je le voyais mettre lui même une croix sur ses envies et ses objectifs juste parce qu’il s’inquiétait pour moi. Il ne voulait plus prendre le moindre risque et m’obligeais à ne pas réfléchir sur la suite à donner à notre treck ; sa décision était prise et m’était comme imposée : nous redescendrions.

Deux jours passèrent à Manang avant que je sois complètement rétablie. Au petit matin du troisième jour, nous repartîmes lestés de nos sacs à dos en direction de la descente. Tout au long du chemin du retour je ne cessai de me poser la même question « Avons-nous bien fait de redescendre où aurions nous du persévérer ».

Autour de nous et au fur et à mesure de notre descente les mêmes paysages qu’à l’aller se dessinaient, ceux rocailleux marquant l’altitude passaient lentement le relais à d’autres plus verdoyant en contrebas.

Troupeau de chèvres dans les plaines sèches de là haut
Nous avions beau avoir déjà vu ce décor, nous demeurions impressionnés par tant de majesté. 
Ici des troupeaux d’ânes venant approvisionner les villages, là bas des chevaux en liberté attendaient d’être scellés et des chèvres productrices d’une précieuse laine d’être tondues.

Troupeau d'ânes lestés, à la queue leu leu
Et ouai, ya pas que les ânes qui bossent...
Une glandeuse dont la seule vocation est de faire de beaux poils

Le soir, les petits villages de pierre sombres se coiffaient de cheminées fumantes marquant l’emplacement des diverses cuisines.

Petit thé en préparation dans la cuisine
Puis le  printemps s’empara des arbres indécents de par leur nudité. Les cerisiers étaient de loin mes préférés ; Tantôt blanc, tantôt rose paraissant à la fois si faibles et si forts, ils semblaient habiller de dentelle un paysage ridé et comme fatiguée par les siècles… Que dis-je les millénaires.


Un air de printemps
La couleur qui emménageait nouvellement dans la montagne occupait également les rizières, les champs où paissaient les troupeaux et les humains.

Une porteuse sur la route

En effet, au cours de la traversée de l’un de ces vertigineux ponts qui enjambe la Marsyangdi, un villageois dont le visage était entièrement bleu nous criais par sa fenêtre « Happy Holiday, Happy Holiday ». C’était la première fois depuis le commencement de notre voyage qu’on nous souhaitait de passer de bonnes vacances. Habituellement les locaux nous souhaitent la bienvenue dans leur pays, nous demandent comment nous allons, d’où nous venons… Mais jamais encore on ne nous avait souhaité de bonnes vacances. Quelle âme charitable me dis-je.

L'un des ponts du treck
Le pont-sèche linge
Nous allions arriver dans le village du schtroumf charitable quand stupéfaits nous remarquions que tous les habitants avaient tous la peau colorée de rouge, de jaune, de vert et de bleu. Ils se ruèrent sur nous, nous lancèrent du pigment rouge en hurlant « Happy Holiday». Après quelques secondes nous réalisions ce qui se passait là (et plus généralement dans tout le Népal et toute l’Inde) : C’était la fête indoue d’Holi, ou la fête des couleurs, qui célèbre la venue du printemps et on nous souhaitait un happy Holi day…

Nous allions passer quelques instants à nous « battre » contre les villageois à coups de lancers de pigments et d’eau, avant de reprendre la route et de croiser un nouveau village où nous remettions ça. Le printemps ici s’emparait donc des hommes !

Happy Holi day
C’est la tête et le corps pleins de couleurs que nous quittions ces montagnes pour rejoindre Pokhara puis la vallée de Katmandou.



PS: Si vous souhaitez voir plus de photos sur ce trek, dirigez-vous vers l'onglet Pays, séléctionnez Népal, puis Album photo. 













mardi 18 mars 2014

Trek des Annapurnas – 3500 mètres de grimpette

Il nous aura fallut 24h de bus pour arriver jusqu’à Pokhara, capitale de l’aventure au Népal. En arrivant je n’étais pas brillant et on va attendre 3-4 jours pour que je me remette. Après avoir pas mal discuté avec d’autres voyageurs, c’est décidé ! On part pour l’un des treks les plus longs de la région, le Tour des Annapurnas. 15 jours de rando en montagne, en partant de 840m pour monter jusqu’à 5400m puis redescendre. Comme on n’est absolument pas équipés pour une aventure de cette ampleur, on a passé 3 jours de dures négociations pour acheter tout ce qu’il faut pour le trek. Pour vous donner une idée, on a quand même fait tous les magasins de sport de la ville (une trentaine), plusieurs fois pour certains, à la recherche de matos d’occasion et pas trop cher. On s’en est tiré pour une centaine d’euros pour 2 ce qui doit certainement constituer un record parmi les trekkeurs ! Mais bon, on ne se refait pas, radins comme nous sommes…

Jour 1 :

Le départ du trek  s’effectue à Besi Sahar à 4-5h de bus de Pokhara. Le trajet ressemble à ceux que l’on connaît déjà d’Inde : l’impression d’être assis sur un trampoline, mais avec un plafond au dessus ce qui rend l’expérience bien moins amusante…
Un couple près de la rivière
Bref on a tout de même finit par arriver. L’excitation est à son comble et c’est après un déjeuner rapide que nous nous mettons en route pour notre première étape : Bhulbule.
Il ne s’agit que d’une courte balade de 2h30, mais marcher sur une piste sableuse et caillouteuse avec des sacs de 8-10kg nous demande tout de même un bel effort. En chemin nous allons faire la connaissance d’une bande d’enfants qui rentre de l’école. Du coup l’étape paraît bien moins longue et nous arrivons juste à temps pour diner dans une jolie guest house toute en bois. Les chambres y sont minuscules mais donnent sur la rivière.

Jour 2 :

Le trek va enfin réellement commencer, et avec, les incessantes plaintes de Sibylle à la vue de chaque montée (qui sont forcément nombreuses entre 840m et 5400m).
Nous décollons à 8h pour une journée un peu désarmante au départ. En effet, la carte que nous avons achetée, n’est pas vraiment au fait des dernières modifications opérées à la montagne par les chinois, et nous commençons donc la balade par 3-4km (1 à 2h de marche) longeant des chantiers et des détournements de la route (trail) et de la rivière. Du coup on se demande un peu si on est sur le bon chemin, mais une fois ces travaux dépassés, nous voilà dans la montagne, longeant la rivière d’un bleu turquoise, et entourés de rizières en escalier qui nous suivront sur la majorité du trek.

Une femme en plein travail de tissage
Nous déjeunons dans un joli village perché sur une colline (après une difficile montée que Sibylle ressassera pendant tout le reste du trek). On y a une très jolie vue et nous y parvenons au moment ou un groupe de français accompagnés de guides et de porteurs reprend la route. Ils étaient partis plus tôt que nous le matin même, mais nous ne regrettâmes pas notre choix de « grasse matinée » ( départ à 8h), car à peine venaient-ils de décoller qu’une pluie purifiante s’abattait sur la zone.

Les rizières
Nous reprîmes notre route après avoir gouté la spécialité locale, le Dhal Bat : une grosse plâtrée de riz servie avec une soupe de lentilles et un curry de légumes. Son prix assez élevé est justifié par la possibilité d’en redemander presque autant que l’on souhaite. Ce n’est pas mauvais et surtout bien nourrissant.

La rivière Marsyangdi que l'on longera tout du long
On repart donc le ventre plein, sur une piste déjà sèche et surplombant la rivière Marsyangdi pour arriver à Ghermu, un petit village sympathique où nous allons faire la connaissance d’autres trekkeurs que nous reverrons presque tous les jours suivants. C’est également ici que notre hôte va nous proposer un deal que nous négocierons systématiquement plus tard : la chambre est gratuite, pour peu que nous dinions et prenions le petit déjeuner sur place. Vous imaginez combien cette découverte va nous réjouir pingre que nous sommes (une chambre ne coute que 2,50 euros). Il s’agit en réalité d’une pratique courante sur le trek et nous vous incitons à en profiter si vous deviez en faire un car un hôtel bien garni en étrangers en attire d’autres et de toute façon toute la marge est faite sur la nourriture qui coute 2 à 3 fois plus cher que dans la plaine.

Jour 3 :

Je gagne deux nouvelles habitudes, la première plutôt saine (et économe), consiste à ne pas payer l’eau minérale mais à purifier l’eau que nous trouvons à l’aide de petites tablettes préalablement achetées à Pokhara. En effet l’eau en bouteille est très cher ici et il n’est pas nécessaire de se retrouver avec une bouteille que l’on ne pourra pas jeter une fois terminée. La deuxième, un peu stupide je l’admet, est d’oublier quasi systématiquement mon téléphone laissé à charger dans la salle commune de la guest house… De fait, il n’y a que rarement des prises de courant dans la chambre, l’électricité étant une denrées rares dans ces contrées éloignées.

Méditation sous un arbre

Cette deuxième journée s’annonçait donc très bien malgré la demi heure de retard dû à mon oubli de téléphone (pour la deuxième fois en 2 jours tout de même). Et c’est plein d’un enthousiasme mitigé que nous entreprîmes de poursuivre notre chemin.
Notre carte je l’ai déjà dit, n’était pas vraiment à jour, et c’est sur cette étape que nous en fîmes les frais. Après déjeuner, nous n’aperçûmes pas le petit panneau indiquant le chemin à suivre et nous nous retrouvâmes de l’autre côté de la rivière, non pas sur le « trekking trail », mais sur la « jeep trail », le chemin tout récent destiné à permettre aux voitures  de rejoindre certains villages plus haut. Lorsque nous réalisâmes notre erreur (en voyant d’autres trekkeurs de l’aitre côté 200m en contrebas), nous dûmes faire un choix : redescendre ce que nous avions si difficilement grimpé pour remonter ensuite dans un petit chemin caillouteux et plutôt raide, ou bien rester sur la route en espérant trouver un pont avant notre étape de la nuit. La carte semblait indiquer la possibilité de traverser 2h plus loin, mais notre confiance en son exactitude s’amenuisait d’instant en instant. Malgré tout, nous décidâmes de continuer notre chemin sur la jeep trail. 

La jeep trail, pas vraiment accueillante
Malheureusement, après une demi heure nous nous aperçûmes qu’il ne nous restait qu’un fond d’eau, et que la route creusée à la dynamite dans la roche ne permettait l’installation d’aucun village ni même la présence d’eau ruisselante que nous pourrions récupérer. L’angoisse de ne pas être sur le bon chemin et le manque d’eau nous en fit d’autant plus ressentir le besoin et nous inquiéta vivement. Nos bouches étaient sèches, mais la carte nous indiquait la présence de cascades sur le chemin. Après un temps qui paraissait ne pas finir,  nous vîmes soudain la première cascade, mais le pont la chevauchait d’une dizaine de mètres et il était suicidaire de tenter d’aller s’y rafraichir. Comme je souffrais moins de la soif que Sibylle, et que je m’efforçais de me montrer plein d’espoir, pour l’encourager, elle commença à mettre au point tout un tas de scénarios, où je devrais la laisser sur le bord de la route pour aller chercher du secours et de l’eau, ou une autre sottise de ce genre. 
Son inquiétude ne fit que me forcer à paraître encore plus optimiste, et c’est quand elle croyait ne plus tenir que j’aperçu une rivière plus ou moins accessible juste en contrebas. Nous étions sauvés ! Nous avons tout de même du attendre 20 minutes avant de pouvoir déguster le précieux breuvage (le temps que la tablettes purificatrice fasse effet). Et c’est ragaillardis que nous gagnions le pont qui nous séparait de notre étape pour la nuit, Tal.

Tal et sa plage

Une fois installés, je me mis en tête d’orner de motifs et de différents accessoires trouvés sur la route un bâton de marche que je m’étais confectionné. Il devait nous accompagner tout le long du chemin.

Jour 4 :

Après une bonne nuit de repos dans la même guest house que le sympathique groupe de français que nous avions rencontré le deuxième jour, nous reprîmes notre chemin pour l’une des plus singulières journées du trek.
Un couple bi-culturel
Il faut tout d’abord vous présenter ce qui faisait notre quotidien depuis notre départ, et qui justifiait également notre ridicule allure d’escargot : Les népalais au travail, et surtout, les chèvres, chiens, moutons, vaches et chevaux qui arpentent dans une liberté presque totale les innombrables chemins qui traversent la région. Notre affection pour tout ce qui a des poils nous forçait alors à nous arrêter à chaque animal, pour le prendre en photo, ou mieux, le caresser et le prendre dans nos bras si possible (évidemment les vaches et les népalais sont plus compliqués à papouiller que les petits chiots…).

Une copine à la langue rapeuse
C’est donc lors de la traversée de l’un des nombreux villages du trek que nous avons fait la rencontre de Danton (c’est le nom que je lui ai donné).

Toujours être chic pour promener ses biquettes. C'est la clé de la réussite

Comme à mon habitude, à la vue de ce beau chien noir, j’ai émis un petit claquement de langue, suivi d’un sifflement particulier, afin d’attirer son attention. La plupart des chiens qui roupillent au soleil m’aurait ignoré, mais pas lui. Il s’est instantanément levé, est venu à mes pieds se faire gratouiller le crâne et puis, ni une ni deux, le voilà devant nous pour nous montrer le chemin.
Les animaux au Népal ont beau être en liberté ils appartiennent la majorité du temps à quelqu’un, et quoiqu’il ne soit pas rare de voir un chien vous suivre quelques minutes, ce que fit Danton fut particulièrement curieux.
Danton, compagnon de voyage
Alors que nous nous mîmes à le suivre, il semblait nous attendre dès qu’il nous perdait de vue. Il lui suffisait alors d’une caresse pour repartir devant nous. Il donnait l’impression de m’avoir adopté (car c’était moi qu’il attendait semblait-il). A un moment le voilà qui disparaît dans un bas côté. A mieux y regarder, il était simplement parti se chamailler avec un singe. Convaincus que nous ne le reverrons pas de sitôt, nous le devinons de loin faire son cinéma, et attendons quelques minutes. Puis tout à coup le voilà qui refait surface, se dirige vers nous, répond à mon appel et vient chercher les quelques caresses qui vont lui redonner envie de nous précéder. Drôle d’impression que de se sentir le maître d’un chien pour l’espace d’une journée, car il va voyager avec nous jusqu’au soir (plus de 10km). On en était à se demander si nous devions le garder, quand, ayant peut être senti notre désarroi, il se perdit dans la nature environnante et ne nous rejoignit plus. Son départ m’aura rendu légèrement triste, mais également soulagé de le savoir sur le chemin du retour…

Jour 5 et 6 :
L'agriculture à Timang a ses avantages
Le trajet entre Timang et Chame puis de Chame à Pisang ne présenta qu’une seule distraction notable. Nous nous étions habitués à nos sacs à dos, et même Sibylle ne se plaignait plus autant des montées.  Les paysages se suivaient en évoluant au rythme de nos pas. Nous aperçûmes enfin les montagnes. Imposantes et couvertes de neige et de glace, les pics qui nous entourent dépassent 7000m et l’on se sent minuscule devant ces immensités. Nos journées sont ponctuées de longs silences entrecoupés de fou-rires et des éternels monologues de Sibylle concernant la multitude de pensées qui la taraude : sa peur de l’avion, des serpents et de la montagne, de ses dangers et de ses beautés. Finalement, les silences n’étaient peut être pas si longs que ça, mais quelle paix quand ils s’installaient!
Bref nous prenons nos habitudes et rentrons dans une routine agréable, où les moments les plus simples deviennent palpitants : un arbre en fleur se dessinant sur la montagne, un chevreau tétant sa mère, ou la décision de prendre ou non tel ou tel chemin.

Les montagnes et le "stairway to heaven" au fond
D’ailleurs c’est à l’une de ces intersections, où, nous étions trompés, et alors que je me soulageais la vessie tout en écoutant le « bruit blanc de l’eau » que tout à coup, le son relaxant de la rivière fut couvert par un autre bruit assourdissant et autrement plus menaçant. Remballant Popol vitesse grand V, me voilà en train de courir vers Sibylle en lui criant : « COURS ! COURS ! un essaim de guêpes nous fonce dessus ». Nous voilà alors, courant aussi vite qu’on peut avec nos sacs de 10kg sur un chemin rocailleux, poursuivis par des milliers de guêpes. Ca nous fout une belle trouille surtout lorsqu’elles nous volent au dessus en bourdonnant. Finalement, ça ne devait pas être à nous qu’elles en voulaient puisqu’elles n’auront fait que passer, mais ça nous aura fichu une sacrée frousse et c’est pantelant de l’effort fourni que l’on s’est pris une pause bien méritée avant de rejoindre Timang ou bien était-ce Pisang ?

Le paysage enneigé aux alentours de Pisang
Jour 7 :

Il est 8h du matin, nous sommes à 3200m et le manque d’oxygène se fait sentir. Un léger mal de tête me taraude depuis notre arrivée, mais rien de bien méchant, par contre j’ai régulièrement besoin de prendre une grande bouffée d’air, car j’ai l’impression de suffoquer. Du coup la nuit n’aura pas été aussi reposante que prévue et je me suis réveillé à de nombreuses reprises. D’autant plus que nous avons discuté hier soir avec une Hollandaise qui redescendait de Manang, car le col était fermé pour cause de neige et 2 porteurs Népalais sont morts. L’un a attrapé le mal d’altitude et est tombé du chemin, quand l’autre est descendu pour l’aider, ils ont été pris dans une fatale tempête de neige…
Avant le départ, je prends un Doliprane et ma migraine passe rapidement, Sibylle, elle, ne souhaite pas fausser les symptômes et décide de ne rien prendre malgré le fait qu’elle souffre comme moi.

Des chevaux paissant dans les montagnes
C’est d’une humeur mitigée que nous entamons l’étape vers Manang, 3500m, et premier village de haute altitude.
Le paysage a complètement changé, les forêts d’arbres en fleurs ont disparues, plus de rizières non plus, nous marchons dans la neige à travers des steppes désertiques.

Le désert des montagnes
On voit de plus en plus régulièrement des moulins à prières ainsi que des Chorten, simples entassements de pierres, sacrés, qu’il faut contourner par la gauche.
Moulin à prières

Un moulin à prières et un Chorten au fond

Nous essayons de négocier notre repas de déjeuner (comme d’habitude) mais les restaurants nous renvoient dans les roses, et nous continuons notre chemin pour trouver une petite masure, où des locaux nous proposent un plat à un prix très compétitif. Du coup on passe un déjeuner avec des vrais népalais au milieu de nulle part.
Après le déjeuner, nous repartons pour 15 minutes de marche et arrivons enfin à Manang.





lundi 3 mars 2014

VARANASI : ville de la mort


On me reproche d’être pessimiste. « Vois les choses du bon côté » me conseille-t-on trop souvent.

J’ai donc pris ma décision : Je vais me forcer, dans la première partie de cet article à vous faire la pub de Varanasi, comme si c’était une ville fun, comme si c’était « The place to be ». Allez c’est parti ! Pierre et Vacances, Center Parc et tous les autres, prenez notes car je vais transformer l’enfer en paradis juste avec des mots et sans mentir :

-       VARANASI : ville du skate-board

Si vous aimez le sport et notamment le skate-board, Varanasi est votre ville de prédilection. Bon nombre de locaux le pratiquent et l’excèlent. Ils vont tous plus vites les uns que les autres, vous surprennent à chaque coin de rue et en font leur gagne pain. Venez donc vous mesurer aux habitants de cette ville sainte qui s’entraînent à ce sport depuis toujours, depuis qu’on leur a coupé leurs jambes pour qu’ils ramènent plus d’argent.

-       VARANASI : industrie de la chips en hausse

On se souvient de manière mélancolique de ces dimanches en familles où quand les beaux jours revenaient nous pic-niquions  et piochions dans le gros sac de chips avant de les faire croustiller sous nos dents.

A Varanasi nombre d’habitants les produisent sur les trottoirs ces chips, et ce, sans utiliser de matière première ! Il leurs suffit pour cela de ce gratter. Et oui, ils sont lépreux…
Tu me diras, l’avantage c’est que eux ils savent avant l’heure en quoi ils se réincarnent, et  en un paquet de chips, c’est mieux qu’en une vache je trouve.
Bon appétit.

-       VARANASI, ville du barbecue…

Je crois que je vais arrêter d’essayer d’être optimiste sous peine de me prendre un procès au cul par les associations nécrophiles, et puis de toute façon l’optimisme ça me va mal !

Bon alors vous l’aurez compris, Varanasi n’est pas vraiment un paradis pour vous décompresser de la tension du boulot sous les cocotiers.

Il s’agit de la ville la plus sacrée d’Inde sur les rives du Gange.

Les Indiens viennent s’y recueillir, prier et y mourir.

Pourquoi y mourir ? Afin d’échapper au cycle des réincarnations. Car oui, si l’on meurt à Varanasi, et si nos restes sont rejettés dans le Gange, l’homme échappe à ce cycle infernal.

Cette ville est donc une véritable cour des miracles où les vieillards et les malades se concentrent pour attendre leur heure et mendient pour subvenir à leurs besoins d’ici là.
La « visite » de la ville se concentre essentiellement sur la découverte des « ghats », escaliers qui descendent dans le Gange et bordent ce fleuve sacré sur environ 6km.

Les Ghats de Varanasi
Les scènes de vie varient au fur et à mesure que nous avançons sur ces ghats.

Ici, le matin, voilà des pèlerins qui s’immergent totalement en effectuant 3 flexions des  jambes pour se purifier, puis sortent de l’eau. 

Toilette purificatrice
D’autres, après s’être aspergés entièrement nettoient et massent les bufflent qui passent par là. 

la belle vie  des buffles
D’autres encore font suivre leur bain purificateur de la lessive de leurs vêtements.

Un intello à la lessive
Un sèche linge pour le blanc
Là bas sur le Dasaswamedh Ghat, c’est Shiva qui est à l’honneur. Tous les soirs, des feux de joie, des prières et des danses s’y déroulent. Les fidèles reçoivent enfin une marque rouge sur le front et quelques grains de riz distribués par les brahmanes avant de se disperser dans les ruelles sinueuses de la vieille ville, laissant le calme regagner ce ghat. 

Offrandes à Shiva

Une prière pour Shiva
La « découverte » des Manikharnika Ghat et le Harishandra Ghat, les deux principaux Ghats de crémation,  a été à la fois emprunte d’étonnement, de questionnements, et de moments émouvants. Tout est différent de chez nous mais malgré toute cette différence, l’endroit est priant, recueillant.

Dans les 24heures suivant de décès, le défunt est habillé, et recouvert d’un linge blanc. Il est ensuite placé sur un brancard de bambou et recouvert de divers tissus colorés dans les tons orange. Au dessus de ces tissus orangés, des fleurs sont installées.

Puis le brancard est porté à pieds par les hommes de la famille jusqu’à l’un des ghat de crémation. Pendant qu’ils arpentent les rues de la ville, les hommes répètent inlassablement et  jusqu’à la destination finale du défunt une même phrase dont nous ne sommes pas parvenus à décrypter le sens.

Dans un premier temps, le corps est entièrement immergé dans le Gange. Il est ensuite placé sur les rives, et le visage est découvert pour que chacun des membres de la famille puisse prendre, par cinq fois, l’eau du Gange entre ses mains et en asperge la bouche du défunt.
Le corps est ensuite recouvert et attend d’être placé sur un bûcher préparé par des membres de la plus basse caste, les intouchables.

Harishandra Ghat
Une fois le bûcher dressé et le corps installé à son sommet, le fils aîné du défunt (ou le plus proche parent mâle), revêtu d’un sari blanc sans coutures et dont la tête à été préalablement rasée à l’exception d’une jolie queue de rat, fait le tour du bûcher en tenant des brins de pailles incandescent, puis allume, au niveau des pieds du défunt, le bûcher de son parent.

Les intouchables ont l’ingrate tâche de veiller à ce que le feu continue d’être alimenté, et à placer, tout au long de la crémation, les restes humains de la meilleure manière pour qu’ils brûlent.
Cette scène est parfois difficile à regarder et on est contraint de détourner le regard pour ne pas trop en voir. Je dis « on » mais en fait les indiens, même la famille, parvient à regarder consumer les restes de leurs parents et les manipulations des intouchables. Je pense que pour eux c’est comme voir une mise en bière pour nous.  

En disant « la famille », je ne suis pas tout à fait dans le vrai : seuls les hommes de la famille sont acceptés lors de cette cérémonie. Les femmes risquant de pleurer et leurs larmes freineraient l’accession du défunt au Nirvana. Elles sont également écartées pour éviter qu’elles se jettent dans le bûcher, comme cela arrivait souvent par le passé.

Malgré cette prohibition, nous avons assisté à la venue d’une femme en pleurs qui souhaitait voir une dernière fois son fils alors que celui-ci attendait d’être placé sur le bûcher. Les hommes l’ont vite écartée. Le moment était assez poignant parce que c’est la seule fois que nous avons vu de la tristesse s’exprimer ouvertement lors de cette cérémonie funéraire.

Quelques secondes après que la mère ait été écartée, une enfant se précipitait entre les quatre bûchers embrasés, en agitant ses bras levés, les yeux rivés vers le ciel. Il était captivé par l’itinéraire son cerf-volant et semblait ne pas voir se qui se tramait autour de lui. Cette scène aussi étrange qu’insolite (un enfant plein de vie au milieu de cadavres brulant) n’étonnait que nous. Les locaux et la famille n’y prêtaient qu’un regard distrait. Après tout, autour des bûchers errent chiens, chèvres, buffles et maîtres du feu, alors un enfant… rien de bien choquant.

Vous l’aurez compris le rite funéraire de Varanasi ne peux pas vous laisser indifférent. « On reconnaît la grandeur des civilisation à la manière dont ils traitent leurs défunt » disait … Pas de doute donc la civilisation indienne est d’une richesse folle et alors que Varanasi est notre dernière escale dans ce pays, nous n’avons qu’un conseil si vous souhaitez visiter l’Inde : Faites abstraction des ordures qui jonchent tous les sols, faites abstraction des bruits incessants (klaxons, cris, machines…) qui traduisent une surpopulation visible par n’importe qui, et savourez.

Saris séchant au soleil
Le lever des voiles
Savourez cette incomparable palette de couleurs qui s’étale sous vos yeux, savourer ces histoires extraordinaires de la mythologie Indoue, ces rites qu’on croirait venus d’une autre planète plus que d’un autre temps, ces chefs-d’œuvre de l’architecture d’un style unique, savourez ces chants à la mélodie imprévisible…
Namaste ! Vous êtes en Inde.

Quant à nous, c’est dans un état grippal que nous nous apprêtons à faire un voyage de 24heures pour passer la frontière du Népal. Florent doit avoir environ 40° de fièvre. Si nous étions au 18ème siècle, à bord d’une frégate en provenance des pays touchés par la peste, nous serions mis en quarantaine dans la rade de Marseille et n’aurions jamais eu l’autorisation d’y accoster pour de bon… J’espère que le Népal n’est pas la France du 18ème siècle. « Souris, fais comme si tout allait bien » allais-je dire plus tard à Flo, à la frontière Népalaise.