Oulan Bator. C’est l’élue. Oui,
nous l’avons élue la ville la capitale la plus laide du voyage. Mais qu’est-ce
qu’une ville laide ? Pour moi la
réponse est simple : c’est une ville dépourvue de toute notion
d’urbanisme. Pas d’alignement, pas de cohérence entre les immeubles voisins,
lesquels n’ont en commun que les fils électriques qui les lient, pas de
véritables trottoirs, une seule route principale rafistolée dans tout les sens.
Heureusement, notre guest-house
se situe dans le quartier huppé de la capitale, sur l’une des places les plus
chics. Il s’agissait là d’un carré
parfait de HLM, au centre duquel est installé un terrain que je dirais vague
mais qui est en réalité de jeux. Positionné de manière anarchique
sur ce terrain, un immense poteau est chapeauté de quatre haut-parleurs gris. A
certaines heures de la journée, ils diffusent une musique aux airs des Cœurs
de l’Armée Rouge, en moins beau bien évidemment. En plus simpliste. L’ambiance est étrange et
accentuée lorsque la place est entièrement vidée. C’est apocalyptique.
Si notre première rencontre avec
un citoyen Mongol était exceptionnelle, (je fais référence à Erko), ce fut bien
la seule. Ici à Oulan Bator, les Mongols
ont le sang chaud. Et si ce n’est pas inné, la vodka fera le travail. Plusieurs
d’entre eux nous ont même menacés et agressés dans la rue. L’un au prétexte que
nous devions lui donner de l’argent pour rester chez lui, il en est donc venu à
nous pousser violemment en signe de défi. Les autres passants de la rue
s’amusaient de l’incartade et semblaient plutôt du côté du Mongol que du nôtre.
Il ne nous restait plus qu’à rebrousser chemin pour éviter un potentiel danger.
L’autre agression se produisit dans la même journée et fut moins
impressionnante, mais tout de même… Un Mongol a tenté de nous chiper un sac de
nourriture lorsque nous sortions du supermarché. Sa tentative ayant échoué, il
n’insista pas.
En rentrant à notre hôtel, on
sortait de nos gros sacs à dos le koukouri. Un couteau à la forme assez
dissuasive que nous avions acheté au Népal au cas où …
Il était enfoui tout au fond du
sac de Flo. Pendant notre séjour dans tous
les autres pays d’Asie, nous l’avions même oublié tellement nous nous sentions
en sécurité. Ici cependant, la mémoire nous
était revenue et la conscience (ou l’inconscience) nous forçait à le mettre
dans la première poche du sac à dos Eastpak de Flo que nous ne quittions
jamais.
Dans cette ville aussi
désagréable que laide nous avions choisi notre moyen de locomotion : le
taxi. Parce que tant de laideur réunie me faisait peur, nous nous payions ce
petit luxe. C’est décidé, nous quitterons
cette laideur le plus vite possible pour rejoindre Hatgal, la « grosse
ville » du nord du Pays, et de là, partir trekker à cheval.
C’est ainsi que le lendemain,
nous étions (mal) installés dans le bus qui prenait la direction du nord, la direction de cette région nommée « La porte de la Sibérie ». On en avait pour 20 heures de bus, soit
environ 3 heures de route (aux abords d’Oulan Bator) et 17 heures de steppe.
C’est ici, installés dans un bus aux suspensions inexistantes que l’on se rend
compte que la steppe, ce n’est pas vraiment plat. A l’arrivée, nous devions être
accueillis par Bayara, notre interlocuteur pour ce trek et pour notre mission
d’aide bénévole aux habitants de la région.
Finalement c’est l’un de ses
amis qui viendra nous chercher à la gare routière pour nous mener à Hatgal, à
encore une heure de route.
La maison de Bayara apparaît. On
entre et on fait sa connaissance. Celui-ci nous montre notre chambre, une
yourte (appelée ici une « GUERR ») implantée dans son jardin puis
nous explique autour d’un thé et d’un gros poêle, notre mission. Celle-ci consistera à aider une
famille de bergers nomades qui vit au fin fond d’une vallée, elle même située à une heure de là. Mais puisque nous
souhaitons aussi faire un trek à cheval, Bayara nous conseille.
« En ce moment il fait
beau, mais ça ne va pas durer alors je vous conseille de commencer par le trek
et de finir par votre mission ». C’était décidé, nous ferons ainsi.
Après une bonne nuit dans notre
yourte, Lock, notre guide, vint nous chercher. Plus tard dans la matinée, il
sella les chevaux. Tandis-que nous tentons de les approcher, nos monture
s’éloignent violemment. « Ça c’est de l’amour », pensais-je.
« no, no, no » nous
cria Lock., et puisque son anglais ne lui permettait pas d’achever sa phrase,
il nous mima le problème : Ne jamais approcher un cheval mongol par le
côté droit. Toujours, toujours, toujours le côté gauche sinon... ils s’affolent. Cette précision effectuée, nous
montons sur notre cheval et partons dans la direction de la Sibérie avec pour
point de chute le lac Khovsgol.
Lock portait tellement bien son
nom que c’est comme si nous faisions un trek par nous mêmes, sur un chemin fléché. Au moins, ça aura permis
à cet homme, pendant l’espace de deux jours, d’être une flèche. La flèche ne donnant que des
informations sur la direction, nous ne connaissions rien de nos montures pas même leur prénom. Nous décidions donc de les baptiser.
Le cheval de Flo étant marron,
il le baptisa, avec toute l’originalité qui est la sienne, « Chocolat ».
Quant à moi la couleur blanche m’inspira le nom de
« Royal ».
Ces nouveaux baptêmes ne
servirent… à rien ! D’abord parce
qu’ils n’eurent pas trop le temps de s’habituer et ensuite et surtout parce que
le cheval mongol est dressé au strict minimum : ne pas ruer
lorsqu’il est monté par un cavalier.
Les mots doux glissés au creux
des oreilles, les talonnades pour obtenir une allure plus rapide, ou encore les
caresses à l’encolure pour remercier ne sont donc d’aucune effet.
C’est une surprise. Nous qui
nous attendions à entrer dans le pays où l’art équestre est le plus poussé,
nous voilà en réalité dans le pays où le cheval est voulu à l’état sauvage.
Ici, l’art n’est pas de dompter
son cheval pour qu’il nous obéisse au doigt et à l’œil. Non, l’art c’est de
parvenir à se servir d’un cheval doté de la fougue de la liberté.
D’un point de vue entretien de
lui même, le cheval mongol mise à 100% sur Dame nature. Pas de jolies tresses à
la crinière, pas de chignon bien entortillé sur la queue, pas de french
manucure, pas d’accessoires en cuirs sexy. On est plutôt sur une beauté à la
Brigitte Bardot, superbe… sauf quant il s’agit de vieillir. Pour les fringues,
c’est plutôt à la Tarzan’style : Une corde usée en guise de rennes et deux
planches de bois surmontées d’un coussin pour servir de selle. Flo et ses
parties intimes ont bien profité de cette selle locale au coussin peu rembourré,
tandis que moi, la bourgeoise, j’avais une selle occidentale (qui aurait
certainement été jetée à la poubelle depuis plus de 10 ans si elle avait été en
Europe).
Les paysages que la Flèche nous faisait
découvrir étaient merveilleux, nous traversions des plaines où le jaune était
décliné dans tous ses tons, des vallées tapissées d’herbes sèches couleur foin
où les résineux arboraient des épines d’or. Les bleus du ciel et des ruisseaux
en ressortaient d’avantage.
A travers les vallons |
Parfois on s’écartait au passage des troupeaux de chevaux sauvages, de chèvres et de moutons. Une fois que
les troupeaux étaient entrés dans le tableau, l’or du cadre se refermait et le
visiteur méditait la scène avant de passer au tableau suivant ; avant de
passer au vallon suivant.
Des troupeaux en liberté |
Les autres tableaux de
l’exposition vivante mettaient en scène des yacks, des regroupements de yourtes
devant lesquelles travaillait parfois une fermière qui revenait de la traite ou
qui retournait ses fromages installés sur un plateau de zinc en plein soleil.
Fromage de yack séchant sur de la taule |
Le dernier tableau de l’expo de
la première journée était le plus prenant. De loin, il s’agissait d’une masse
d’argent au centre d’un carré d’or.
Vue sur la perle bleue |
Une fois n’est pas coutume,
Royal semblait sentir mon envie de découvrir au plus vite cette toile, et
répondait à mes talonnades par un grand galop que je n’espérais plus. Ca
inspira Chocolat qui, en sa qualité de bon second, suivait mon leader. Décidément Lock avait vu juste
en nous attribuant a chacun un cheval à notre image.
La masse d’argent se précisait. C’était un
immense lac. Le lac se rapprochait. Nous y étions. Le lac Khovsgol, nommé ici
« La perle bleue de Mongolie », connu pour être encore plus beau que son aîné, le lac Baïkal en Russie, pour contenir plus de 2% des réserves
mondiales d’eau de source, pour être le second lac le plus profond d’Asie
centrale… Que de palmarès pour un seul lac !
Le lac Khovsgol |
Royal gardait son rythme et
m’offrit une puissante sensation de liberté. J’étais dans un décor d’or et
d’argent, je me cramponnais au crin de
mon cheval et me penchais en avant pour augmenter la vitesse. Je n’aspirais
qu’à une chose : que ça ne s’arrête jamais ; que l’osmose, que le
bonheur, que la liberté continuent indéfiniment.
Cependant au bout de quelques minutes
le galop devint trot et le trot devint pas.
Royal s’abreuva à l’eau du lac.
Quelques secondes plus tard Chocolat nous rejoignit. A la tête de Flo, je
compris que le galop et la selle traditionnelle ne faisaient pas bon ménage.
Chocolat, tout étourdi qu’il
était, continuait de s’avancer dans le lac glacial en oubliant son cavalier.
L’eau arrivait maintenant aux flancs de l’animal. Les consignes que Flo assénait à sa monture n’étaient suivies d’aucun effet ; Les chevaux
Mongols ! Lock arriva et parvint à faire rebrousser chemin à Chocolat… On
a eu chaud; Flo a failli avoir froid !
Dix minutes après cet épisode,
nous étions arrivés à notre abri pour la nuit : Une jolie Yourte avec vue
sur le lac. Il n’est cependant pas question de se reposer. Il faut se hâter
d’aller chercher du bois pour le poêle ainsi que de l’eau du lac pour faire
cuire notre dîner.
Notre dortoir pour la nuit |
Ces taches effectuées, nous rejoignons la masse d’argent
pour admirer le combat entre le jour et
la nuit. Un combat inéquitable à cette heure ci. Les couleurs sont superbes. Un
rose-violacé s’installe. On passe faire une caresse à nos montures qui sont
restées brouter là, puis les yeux se fixent sur ce lac à l’eau limpide. Le
violet se fond dans le bleu pétrole, ça donne un bleu nuit. Le noir et le froid
nous forcent à rentrer.
Les couleurs du soir sur le lac Khovsgol |
Le repos de nos chevaux |
Lock nous accueillit dans la
yourte en nous mimant la manière de
faire le dîner. Parce que lui, il doit s’en aller dîner avec des amis… Très
sympa tout ça !
Après son départ, on fait donc
bouillir la viande séchée et les pâtes… Vraiment pas bon, mais on nous avait
prévenus ! Du coup, on sort les snickers de secours et c’est parti pour une
jolie soirée en amoureux autour du poêle central, dans une yourte où les tapis
kazakh étaient fourrés entre les tasseaux composant la
structure de la maisonnette, en guise d’isolant thermique.
Au moment de nous coucher, Lock
fit son irruption dans la yourte. Il nous demanda où était la gamelle de
nourriture et mangea nos restes dans son coin... Décidément, nous ne partagions
rien avec notre guide. C’en était frustrant.
Selon les rencontres, la
« barrière de la langue » était soit un prétexte pour rigoler avec
des gestes, des mimiques, pour parler avec les yeux et le cœur, soit un prétexte pour fuir tout contact. Lock
avait choisi le second prétexte. Nous devions nous y accoutumer.
Le lendemain matin, un grand
soleil nous éclairait. Nous méditions face à la perle bleue avant de repartir
en direction de la ville de Hatgal.
Sur les rives du lac avec Royal
|
Sur le chemin du retour, Lock
devait s’arrêter dans la yourte de son frère. Allait-il lui aussi nous
ignorer ?? Et bien non, le frère et sa famille avaient choisi le prétexte
de la rigolade des gestuelles ridicules, du parler avec les yeux. C’était
un vrai plaisir.
La famille de Lock |
L’une des nièces de
Lock devait avoir une vingtaine d’année, elle nous offrit une sorte de beurre
au lait de Yak qu’il fallait tartiner sur un genre de pain et recouvrir d’une
montagne de sucre. Un truc diététique quoi. Ca c’était pas mauvais. Contente de
nous faire plaisir, elle continuait dans sa générosité en nous offrant de
gouter son yaourt, toujours à base de lait de Yack. Du yaourt maison… Enfin de
la nourriture que nous prenions par plaisir et non simplement pour nous
nourrir ! Puis elle nous montra fièrement son téléphone portable. Pour
nous, c’était une machine complètement obsolète. Un téléphone où l’écran était
encore en noir et blanc, où le menu « jeux » permettait d’accéder au
snake. C’est dire!
Autour du téléphone portable |
Un petit lait de Yak pour Flo. |
Quelques instants plus tard, de
la musique, ou plutôt du son, sortait de ce téléphone. C’était vraiment pas
très agréable à écouter mais elle était si fière de nous montrer ce qui, pour
elle, était un bijou de la technologie, que nous feignons l’admiration et
laissions bien enfouis au fond de nos sacs la gopro, et nos téléphones, pour
profiter de ses sourires et de la fierté qui brûlait dans ses yeux.
Après une heure d’échange avec
cette famille accueillante, nous reprenions les routes pour arriver avant la
nuit à la ville.
Et c'est reparti |
De là nous devions immédiatement partir dans la famille de
bergers que nous allions devoir aider le temps d’une petite semaine.
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