lundi 3 mars 2014

VARANASI : ville de la mort


On me reproche d’être pessimiste. « Vois les choses du bon côté » me conseille-t-on trop souvent.

J’ai donc pris ma décision : Je vais me forcer, dans la première partie de cet article à vous faire la pub de Varanasi, comme si c’était une ville fun, comme si c’était « The place to be ». Allez c’est parti ! Pierre et Vacances, Center Parc et tous les autres, prenez notes car je vais transformer l’enfer en paradis juste avec des mots et sans mentir :

-       VARANASI : ville du skate-board

Si vous aimez le sport et notamment le skate-board, Varanasi est votre ville de prédilection. Bon nombre de locaux le pratiquent et l’excèlent. Ils vont tous plus vites les uns que les autres, vous surprennent à chaque coin de rue et en font leur gagne pain. Venez donc vous mesurer aux habitants de cette ville sainte qui s’entraînent à ce sport depuis toujours, depuis qu’on leur a coupé leurs jambes pour qu’ils ramènent plus d’argent.

-       VARANASI : industrie de la chips en hausse

On se souvient de manière mélancolique de ces dimanches en familles où quand les beaux jours revenaient nous pic-niquions  et piochions dans le gros sac de chips avant de les faire croustiller sous nos dents.

A Varanasi nombre d’habitants les produisent sur les trottoirs ces chips, et ce, sans utiliser de matière première ! Il leurs suffit pour cela de ce gratter. Et oui, ils sont lépreux…
Tu me diras, l’avantage c’est que eux ils savent avant l’heure en quoi ils se réincarnent, et  en un paquet de chips, c’est mieux qu’en une vache je trouve.
Bon appétit.

-       VARANASI, ville du barbecue…

Je crois que je vais arrêter d’essayer d’être optimiste sous peine de me prendre un procès au cul par les associations nécrophiles, et puis de toute façon l’optimisme ça me va mal !

Bon alors vous l’aurez compris, Varanasi n’est pas vraiment un paradis pour vous décompresser de la tension du boulot sous les cocotiers.

Il s’agit de la ville la plus sacrée d’Inde sur les rives du Gange.

Les Indiens viennent s’y recueillir, prier et y mourir.

Pourquoi y mourir ? Afin d’échapper au cycle des réincarnations. Car oui, si l’on meurt à Varanasi, et si nos restes sont rejettés dans le Gange, l’homme échappe à ce cycle infernal.

Cette ville est donc une véritable cour des miracles où les vieillards et les malades se concentrent pour attendre leur heure et mendient pour subvenir à leurs besoins d’ici là.
La « visite » de la ville se concentre essentiellement sur la découverte des « ghats », escaliers qui descendent dans le Gange et bordent ce fleuve sacré sur environ 6km.

Les Ghats de Varanasi
Les scènes de vie varient au fur et à mesure que nous avançons sur ces ghats.

Ici, le matin, voilà des pèlerins qui s’immergent totalement en effectuant 3 flexions des  jambes pour se purifier, puis sortent de l’eau. 

Toilette purificatrice
D’autres, après s’être aspergés entièrement nettoient et massent les bufflent qui passent par là. 

la belle vie  des buffles
D’autres encore font suivre leur bain purificateur de la lessive de leurs vêtements.

Un intello à la lessive
Un sèche linge pour le blanc
Là bas sur le Dasaswamedh Ghat, c’est Shiva qui est à l’honneur. Tous les soirs, des feux de joie, des prières et des danses s’y déroulent. Les fidèles reçoivent enfin une marque rouge sur le front et quelques grains de riz distribués par les brahmanes avant de se disperser dans les ruelles sinueuses de la vieille ville, laissant le calme regagner ce ghat. 

Offrandes à Shiva

Une prière pour Shiva
La « découverte » des Manikharnika Ghat et le Harishandra Ghat, les deux principaux Ghats de crémation,  a été à la fois emprunte d’étonnement, de questionnements, et de moments émouvants. Tout est différent de chez nous mais malgré toute cette différence, l’endroit est priant, recueillant.

Dans les 24heures suivant de décès, le défunt est habillé, et recouvert d’un linge blanc. Il est ensuite placé sur un brancard de bambou et recouvert de divers tissus colorés dans les tons orange. Au dessus de ces tissus orangés, des fleurs sont installées.

Puis le brancard est porté à pieds par les hommes de la famille jusqu’à l’un des ghat de crémation. Pendant qu’ils arpentent les rues de la ville, les hommes répètent inlassablement et  jusqu’à la destination finale du défunt une même phrase dont nous ne sommes pas parvenus à décrypter le sens.

Dans un premier temps, le corps est entièrement immergé dans le Gange. Il est ensuite placé sur les rives, et le visage est découvert pour que chacun des membres de la famille puisse prendre, par cinq fois, l’eau du Gange entre ses mains et en asperge la bouche du défunt.
Le corps est ensuite recouvert et attend d’être placé sur un bûcher préparé par des membres de la plus basse caste, les intouchables.

Harishandra Ghat
Une fois le bûcher dressé et le corps installé à son sommet, le fils aîné du défunt (ou le plus proche parent mâle), revêtu d’un sari blanc sans coutures et dont la tête à été préalablement rasée à l’exception d’une jolie queue de rat, fait le tour du bûcher en tenant des brins de pailles incandescent, puis allume, au niveau des pieds du défunt, le bûcher de son parent.

Les intouchables ont l’ingrate tâche de veiller à ce que le feu continue d’être alimenté, et à placer, tout au long de la crémation, les restes humains de la meilleure manière pour qu’ils brûlent.
Cette scène est parfois difficile à regarder et on est contraint de détourner le regard pour ne pas trop en voir. Je dis « on » mais en fait les indiens, même la famille, parvient à regarder consumer les restes de leurs parents et les manipulations des intouchables. Je pense que pour eux c’est comme voir une mise en bière pour nous.  

En disant « la famille », je ne suis pas tout à fait dans le vrai : seuls les hommes de la famille sont acceptés lors de cette cérémonie. Les femmes risquant de pleurer et leurs larmes freineraient l’accession du défunt au Nirvana. Elles sont également écartées pour éviter qu’elles se jettent dans le bûcher, comme cela arrivait souvent par le passé.

Malgré cette prohibition, nous avons assisté à la venue d’une femme en pleurs qui souhaitait voir une dernière fois son fils alors que celui-ci attendait d’être placé sur le bûcher. Les hommes l’ont vite écartée. Le moment était assez poignant parce que c’est la seule fois que nous avons vu de la tristesse s’exprimer ouvertement lors de cette cérémonie funéraire.

Quelques secondes après que la mère ait été écartée, une enfant se précipitait entre les quatre bûchers embrasés, en agitant ses bras levés, les yeux rivés vers le ciel. Il était captivé par l’itinéraire son cerf-volant et semblait ne pas voir se qui se tramait autour de lui. Cette scène aussi étrange qu’insolite (un enfant plein de vie au milieu de cadavres brulant) n’étonnait que nous. Les locaux et la famille n’y prêtaient qu’un regard distrait. Après tout, autour des bûchers errent chiens, chèvres, buffles et maîtres du feu, alors un enfant… rien de bien choquant.

Vous l’aurez compris le rite funéraire de Varanasi ne peux pas vous laisser indifférent. « On reconnaît la grandeur des civilisation à la manière dont ils traitent leurs défunt » disait … Pas de doute donc la civilisation indienne est d’une richesse folle et alors que Varanasi est notre dernière escale dans ce pays, nous n’avons qu’un conseil si vous souhaitez visiter l’Inde : Faites abstraction des ordures qui jonchent tous les sols, faites abstraction des bruits incessants (klaxons, cris, machines…) qui traduisent une surpopulation visible par n’importe qui, et savourez.

Saris séchant au soleil
Le lever des voiles
Savourez cette incomparable palette de couleurs qui s’étale sous vos yeux, savourer ces histoires extraordinaires de la mythologie Indoue, ces rites qu’on croirait venus d’une autre planète plus que d’un autre temps, ces chefs-d’œuvre de l’architecture d’un style unique, savourez ces chants à la mélodie imprévisible…
Namaste ! Vous êtes en Inde.

Quant à nous, c’est dans un état grippal que nous nous apprêtons à faire un voyage de 24heures pour passer la frontière du Népal. Florent doit avoir environ 40° de fièvre. Si nous étions au 18ème siècle, à bord d’une frégate en provenance des pays touchés par la peste, nous serions mis en quarantaine dans la rade de Marseille et n’aurions jamais eu l’autorisation d’y accoster pour de bon… J’espère que le Népal n’est pas la France du 18ème siècle. « Souris, fais comme si tout allait bien » allais-je dire plus tard à Flo, à la frontière Népalaise.

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