dimanche 28 décembre 2014

Un aller simple pour Oulan Bator (Улаанбаатар): Voyage vers le fantastique

Vide. La gare routière de Pékin est vide. On s’inquiète. Comment le pays le plus peuplé au monde peut-il avoir une gare entièrement vide ?  Le bus pour Erlian, la frontière Mongole, part-il vraiment d’ici ?

Ahh c’est bon. Nous ne sommes plus seuls. Deux personnes sont entrées dans la gare.

Nous sommes désormais dans une gare presque vide où deux personnes attendent (nous) tandis que deux autres jouent au badminton (eux). Normal quoi.

Une heure passe. Toujours personne d’autre que nous 4. Flo va demander pour la Nième fois à deux écervelées qui travaillent là, ce qui se passe.
Pourquoi ne pouvons nous pas acheter nos billets ? Pourquoi le bus qui était sensé arriver il y a une heure n’est toujours pas là ?

Les deux filles qui n’avaient d’égal à leur laideur que leur intelligence pouffent de rire. Nous n’avons pas notre réponse.

Environ une demi heure plus tard, un homme entre dans la gare. Il se dirige vers les guichets vides. Cette constatation faite, il entre dans la loge des laides et entame une conversation. La loge communique avec le guichet. L’une des laides se rend donc derrière son guichet. L’homme reprend sa place initiale et parvint a avoir son ticket. Flo fonce derrière lui et quand vient son tour, demande à nouveau un ticket pour Erlain. La laide lui fait à nouveau comprendre qu’il lui faut regagner sa place. Elle referme le guichet pour rejoindre sa pair avec qui elle continuera d’exposer les derniers textos reçus sur son téléphone.

Les joueurs quittent la gare. Une SDF tente sans succès de nous faire abandonner quelques yuans avant de rejoindre les WC où elle s’y enfermera quelques 40 minutes.

Un nain entre dans la gare. Il se dirige dans notre direction. Nous comprenons le mot « ticket » et le mot « money ».
Il veut que nous le payons pour les tickets. Le hic c’est qu’il nous fait comprendre qu’il ne peut pas nous donner les tickets sur place. Il veut que nous le payons et que grâce à cet argent, il aille nous acheter les billets de bus. On lui fait comprendre qu’on ne paiera que lorsque le bus sera là, ou alors qu’il sera en possession des tickets.  

Il erre dans la gare.

Plus tard, un couple entre en scène.

Le nain leur parle.

L’homme ressemble étrangement à Drogo le leader des Dothraquis.  Il parle au nain dans un Dodhraquis revisité. Flo s’approche de l’homme. Alléluia !!!! Il parle couramment anglais.

Drogo nous dit qu’il a dû payer le nain pour que celui-ci lui rapporte d’ici 20 minutes les tickets de bus.

Puisque les Dothraquis se fient au nain, nous les suivrons !

Un bossu pousse la porte de la gare. Il s’approche de moi. Je touche sa bosse. Il continue son chemin. Un bruit sourd s’écrase sur l’une des portes en bois. Nous regardons dans la direction de la porte. Un corbeau mort y est planté par un couteau mal aiguisé.  Mauvais présage… Je ne me souviens plus très bien si le présent paragraphe (et lui seul !) s’est passé dans la gare ou simplement dans ma tête. Croyez ce que vous voudrez ; croyez ce qui vous souffle l’enfant qui est en vous.

Le nain était en fait allé au guichet. La laide ouvre son guichet et accepta le plus banalement du monde de lui vendre les 4 tickets. Ceux des Dothraquis et les nôtres . Le nain revint vers nous, les tickets en main. Il ne nous les donnait pas. Il voulait les donner lui même au conducteur.
Encore un élément étrange !

Etrange. Etranger. Trajet. Stratégie. Agité. Argent.
Ces éléments se bousculaient dans ma tête et l’explication devenait limpide : Les laides ont vu en nous « riches étrangers », des proies faciles. Non, elles ne nous auraient pas vendu directement les billets pour ce trajet. Elles appelleront leur copain le nain. Le nain nous fera comprendre, conformément à la stratégie mise en place avec les vilaines, que pour acheter un billet pour Erlian, on est obligé de passer par lui. Il s’agite, fait mine de surveiller le parking de la gare routière. Il passe des prétendus coups de fil où nous reconnaitrons le mot « Erlian » dans la conversation. Il aura son argent, dont il partagera sans doute la plus-value faite sur le coût normal du ticket avec les deux laides.

Quant à nous, nous ne saurons jamais de combien nous nous sommes fait avoir. Ce n’est pas la première fois dans le voyage. Ce ne sera pas la dernière. Ca fait parti du voyage.

Le bus arrive à moitié plein. Installée sur le premières couchettes, une française répondant au nom de Virginie avait élu domicile à Pékin. Elle devait passer cinq minutes en Mongolie pour avoir le tampon de sortie du territoire Chinois, comme l’exigeait son visa.

Le bus part. Il éteint les lumières. La nuit s’installe.

Le noir devint bleu marine. Bleu-gris. Gris. Lorsqu’il devint rouge-orangé, nos yeux s’éveillèrent.

Vide. Le paysage est vide. A perte de vue… rien. Juste une terre qui se craquelle sur laquelle seules quelques touffes d’herbes rebelles se dressent.
C’est le plat total. Pas une colline. Pas une maison. Pas un chat.

D’habitude, le premier oeil s’ouvre, note les repères (par exemple Bus, Chine, lever du soleil) et se referme pour ne se rouvrir que quelques heures plus tard, à l’heure où le bleu marine est devenu jaune pâle.

Mais cette fois-ci, le premier oeil s’ouvre, puis le deuxième oeil pour confirmer l’information. Les main frottent les yeux pour confirmation de la confirmation.

C’est confirmé. C’est le premier désert que je vois de ma vie : Un désert au lever du soleil.

Flo est lui aussi émerveillé. Cette solitude a quelque chose de captivant. Il n’y avait rien à voir mais nous regardions.

Les Dothraquis qui dormais dans les couchettes situées juste devant nous, s’éveillèrent. Ils ne jetèrent pas un coup d’oeil à ce paysage. Ce sable les laissait de marbre. Tu me diras c’est assez logique pour des Dothraquis.

Alors que nous avions sympathisé avec eux, ils nous expliquaient qu’en tant que Mongols, ce paysage était des plus habituels. « C’est ça la steppe » nous dit Drogo qui s’appelait en réalité Erko.

Nous apprîmes plus tard que nous avions traversé les steppes de Xilamuren en Mongolie-intérieure (partie de la Mongolie annexée par la Chine).

Le bus nous laissa au milieu de …  nulle part. Erko que nous suivions baragouina avec l’un des chauffeurs d’un voiture qui attendait là. Puis, il nous informa de la situation.

-       « Erko : Cet homme va nous emmener au centre-ville d’Erlian où nous nous reposerons un peu avant de trouver une voiture qui veuille bien nus faire traverser le no man’s land »

Nous acquiesçons, trop contents d’avoir des explications sur ce trajet qui devait être l’un des plus compliqués de notre voyage, des dires des bloggeurs qui ont eu à passer en Mongolie par le voie terrestre.

Le conducteur nous dépose face à un immeuble immonde qui se prétend hôtel. Il y avait 3 ou 4 chambres des plus glauques où nous devions nous reposer 4 heures. Le reste de l’hôtel servait d’usine d’empaquetage de jouets.

Toute la famille qui vivait là se rassemblait dans une pièce encore plus glauque que les autres où les pistolets à eau, les figurines et les maquettes étaient entassées. Tous les membres de la famille mettaient la main à la pâte pour emballer les produits dans des boîtes en plastique. Et hop , ça partait au rez-de-chaussée pour être vendu.

Erko frappa à notre porte. « C’est bon, j’ai trouvé une voiture »  nous annonça-t-il. Pour notre part, nous nous serions bien passés de véhicule puisque nous avions l’habitude de passer les frontière à pieds. Ici cependant, il était interdit de passez le no man’s land autrement que motorisé.

Nous nous entassions donc à cinq (les Dothraquis, Virginie, et nous) dans une jeep aux allures soviétiques remplie à raz bord de denrées qui devaient, elles aussi, passer la frontière.

Une Jeep aux allures soviétiques


Comment remplir une jeep à raz bord?
Nous quittons la Chine. Nous traversons le no man’s land et nous arrivons à la frontière Mongole.

Nous ne faisions pas les fiers. En effet, depuis le mois d’aout dernier une nouvelle réglementation s’appliquait aux visas mongols pour les ressortissants français. Nous n’avions désormais plus besoin de visa. On nous apposera un tampon à la frontière.

Ca c’était ce qui était écrit sur le site de l’ambassade de Mongolie en France.

En revanche, sur le Lonely et sur le Routard, il était écrit clairement que les français devaient s’être fait délivrer au préalable un visa pour pouvoir frapper à la porte de Gengis kan. D’autres ressortissants anglais et français que nous avions rencontré en Chine nous confirmaient la version des guides touristiques.

Que faire ?

Notre flemme aura décidé pour nous. A Beijing nous n’avions en effet aucune envie de perdre notre temps au consulat de Mongolie, à la localisation excentrée. On prendra donc le risque de faire confiance à l’ambassade mongole située en France.

Arrivés à la frontière Mongole on s’en voulait. Les agents n’avaient pas l’air commode. Pourquoi n’étions nous pas passés au consulat de Beijing ? « On est bête, on est bête, on est bête »...

Ca y est c’est au tour de Flo. Il sort son passeport. L’agent l’ouvre et ne voit … pas de visa. Elle fronce les sourcils. Elle regarda à nouveau la couverture du petit carnet. « Wait here » imposa-t-elle. Elle partit dans les bureaux. 
Ma file à moi avait avancé. C’était maintenant mon tour. Même scénario. Je devais rester là. Ne pas avancer d’avantage.

Les Dothraquis, qui étaient ici chez eux, étaient passés comme une lettre à la poste et nous attendaient depuis maintenant 10 minutes.

« On est bête, on est bête, on est bête » ne cessais-je de me répéter. Le premier agent, celle de Flo, revint. On ne put rien lire sur son visage. Elle regarda Flo, ouvrit le carnet marron aux écussons de la France et fit retentir son coup de tampon. Une fois. Deux fois. Elle jeta quelques mots à l’intention de mon agent et à nouveau les coups de tampon brisèrent le silence. Un souffle de soulagement.

Nous devions être les premiers français à passer par cette frontière là sans visa préalable. Je rejoignais Flo et tapais dans la main qu’il me tendait en signe de victoire.

« Nous aurions été bête de perdre notre temps au consulat » nous répétions nous maintenant, heureux d’avoir passé cette frontière.

Notre jeep soviétique nous rejoint pour nous mener à Zumin Yud, la ville la plus proche.
Nous traversons encore la steppe pendant 10 minutes et nous arrivons aux cubes de béton posés au milieu de ce nulle-part pour former une ville.


En route vers Zumin Yud
Virginie nous quitta là, pour rejoindre la frontière Chinoise puis beijing où elle vivait. Quant à nous quatre, nous prenons nos billets de train pour la capitale Mongole.

A 18 heure, nous embarquions pour 15 heures de train de nuit.


Notre train de nuit.
Sur le quai, Flo et moi admirions notre train. Oui c’était un voyage, mais un voyage dans le temps. Il ressemblait aux trains que nous utilisions dans les années 40. Mais qu’avait-il de plus que les autres ce train ? Car en effet, au cours de notre périple nous avions pris beaucoup de vieux trains.
Oui, mais celui-ci paraissait neuf. C’était un train aux formes et au design ancien mais d’une propreté irréprochable, sans le moindre rafistolage de tôle,  sans la moindre bosse, et à la peinture encore luisante.
De là où nous nous trouvions nous ne pouvions voir ni la première voiture, ni la dernière. C’était un train infini. Devant la porte de chaque voiture, un contrôleur vérifiait nos billets et nous conduisait à notre cabine. Oura, nous étions tous les 4 !


Les Dothraquis
Nous deux.

Nous 3!
Encore une fois les Dothraquis vivaient une situation normale. Quant à nous, nous appréciâmes chaque découverte de ce voyage dans le passé.

Le sifflet retentit. Le train partit en suivant cette cadence régulière que l’on n’entend plus sur nos jeunes TGV.

Les paysages qui défilaient continuaient de nous captiver. La steppe, la steppe, la steppe. 



la steppe à perte de vue


Parfois nous apercevions au loin un train  qui allait dans le sens inverse du notre. Sauf que c’était le notre ; Un train tellement grand que lorsque les premiers wagons avaient passé le virage d’une épingle à cheveux  faisant ainsi demi-tour, le reste du train conservait sa trajectoire initiale.

Un train sans fin
La nuit tomba. A nouveau la magie s’installa.

Les couleurs du soir


La steppe à la tombée de la nuit
Un train au milieu du rien. Un train au cœur de la nuit. Un train qui servait de lampadaire au désert.
A l’horizon, il n’y avait que le noir. Un noir trahi par cette ligne de petits carrés jaunes qui s’éteignaient les uns après les autres.

Parfois, dans la nuit, dans le rien, le train s’arrêtait. On se dirigeait vers la porte du wagon, on l’ouvrait. Elle grinçait. On sautait dans le sable, et le vent nous recouvrait de sa couverture glaciale.  L’infinie prenait son sens.
Un noir totalement noir, un silence criant et autant d’étoiles que de graines de sable.
Le froid nous pénétrait. Puis les petits carrés jaunes reprenaient lentement leur danse régulière. Nous remontions à bord, nous refermions la porte. Toujours ce grincement et puis, un questionnement. Pourquoi le train s’est-il arrêté là, au milieu d’un désert déserté. Quel était le voyageur qui attendait ici sur un quai improvisé au milieu du rien ?
Un enfant dans un rêve qui avait trouvé dans la poche de son pyjama rayé un billet pour le royaume des licornes? Un vieil homme habillé de haillons, aux traits tirés, le balluchon rempli d’herbes et de poussières au pouvoir mystérieux ?

Qui que ce fut, le train conservait son anonymat et les carrés jaunes, de plus en plus rares, continuaient leur farandole.

Notre carré jaune s’éteignit. Le chant du train m’endormit.

Au petit matin, la magie s’était dissipée. Le rien était rempli d’arbres au feuillage vert, jaune et rouge, de chevaux sans cornes, de chèvres et de moutons en liberté, de maisons rondes (les yourtes) à la cheminée déjà en activité.

Au petit matin, un paysage changé.
Premiers chevaux en liberté
Le soleil éclairait un train qui avait un début et une fin. Le soleil éclairait une ville : Oulan Bator.

La laideur d'Oulan Bator se profile...
Sur le quai de la gare, nous attendions l’homme de confiance ; Celui à qui la mère d’Erko avait confié les clés de sa voiture garée sur le parking face à nous. Une fois trouvé l’homme et l’auto, Erko nous conduisit à notre guest-house et disparu par la même magie qu’il était apparu dans cette gare vide.

Expatrié en Pologne, il faisait un dernier saut auprès des siens et devait repartir 3 jours plus tard pour son pays adoptif avec sa belle.

La légende dit que pour les plus chanceux de ceux qui ont vécu une nuit de magie, une part de celle-ci se réalise.

Nous étions de ces plus chanceux. Parce qu’en fouillant bien dans le fin fond du répertoire de notre téléphone, nous avons trouvé inscrit le nom d’Erko, ce Drogo dont on se demande aujourd’hui s’il n’est pas sorti d’une lampe qu’on aurait frotté par inadvertance.

Un jour peut être que la magie ira jusqu’à nous l’amener en France.

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