A l’heure à laquelle j’écris ces
mots nos souvenirs de ce merveilleux voyage se sont quelques peu dissipés et je
dois faire travailler mes méninges pour tenter de retranscrire fidèlement la
réalité.
En effet, nous sommes le 2 août 2016, soit environ un an et demi après avoir vécu les faits que je m’apprête à
relater ici. Pourquoi un tel retard ? Depuis notre retour à Paris, la
flemme de raconter un voyage (dont j’ai eu, pour ma part, du mal à accepter qu’il
était terminé) nous a gagné. Nous devions passer à autre chose, et nous
pensions que le retard que nous avions cumulé dans la narration de nos
aventures serait aisément rattrapable. Oui, mais c’était sans compter sur notre
quotidien parisien qui nous éloignait chaque jours de notre voyage rendant
ainsi plus difficile la narration de souvenirs et de sensations qui
s’envolaient vers les contrées de l’oubli et de la nostalgie.
Se remettre à écrire relevait du
défi : nous avions oublié, nous avions peur de ne pas être fidèles à la
réalité, nous n’avions plus envie de nous réfugier dans le passé, nous étions
passés à autre chose.
Aujourd’hui, nous nous sommes mariés,
et nous attendons notre premier enfant qui arrivera dans un peu plus de deux
mois. Cet être que nous ne connaissons pas encore nous met la pression. Nous
devons avoir terminé notre livre de voyage avant son arrivée. On ne sait jamais, des fois qu’il sache lire dès sa naissance et qu’il ait d’ores et déjà épuisé
toute la littérature classique…
Cette fois, nous avons donc un mobile :
nous voulons parler du passé pour l’avenir. La reprise de nos récits a, à
nouveau, un sens. C’est reparti !
***
Au début de ce mois de novembre
2014, nous recherchions un hôte à Matsumoto, une minuscule ville, nichée dans
la région des Alpes Japonaises. L'objectif de cette halte résidait dans la visite son château dont le
Lonely faisait toutes les éloges. Oui, on restait sur notre faim questions
châteaux et on en voulait encore !
Sur le site de couchsurfing il n’y a
que deux ou trois hôtes pour cette destination. Seul l’un nous a répondu :
Takafumi.
Seulement, il ne pourrait pas nous accueillir
le temps que nous souhaitions initialement mais uniquement deux nuits, car,
disait-il, il n’avait pas le temps de s’occuper de nous. Par ailleurs, il nous
précisait que sa maison n’était pas
située à Matsumoto même, mais non loin du village d'Hotaka, une
« banlieue » éloignée de Matsumoto.
«Bon ce n’est pas grave, on verra sur
place nous, au pire, nous prendrons le train régional qui sépare Hotaka de Matsumoto pour visiter le château» pensions nous. Et en tout état de
cause, nous n’avions pas besoin d’un hôte qui nous tienne la main pendant tout
notre séjour !
C’est ainsi que nous retrouvons
Takafumi à Hotaka station dans la pénombre d’un soir automnal. Celui-ci nous
mena directement chez lui en voiture.
C’est alors que nous nous rendions
compte que la localisation de l’antre de Takafumi posait un problème : sa
maison était en pleine campagne à environ 15 minutes de voiture d’Hotaka. La
perspective de la visite de Matsumoto s’éloignait donc définitivement.
A première vue, l’homme était plutôt
froid. Il nous ouvrit les portes de sa maison, une merveille traditionnelle
japonaise, et nous indiqua notre chambre.
Dans le même style que la maison
notre chambre fut l’une des plus belles que nous ayons eues de tout notre
voyage au Japon : meubles japonais anciens, shojis, tatamis et futon.
Alors que Takafumi vaquait à ses
occupations, nous n’osions pas vraiment sortir de la chambre de peur de le
déranger. Au bout d’un certain temps, Flo partit explorer la maison et finit
par tomber sur Takafumi qui nous attendait dans le salon.
« N’hésitez pas à venir au
salon si cela vous tente » lançait-il à Flo. Nous n’attendions que
ça ! Et c’est ainsi que nous faisions plus ample connaissance avec celui
qui nous accueillait qui, loin d’être froid, respirait la convivialité, et pas
n’importe laquelle : celle que nous aimions.
Oui, Takafumi descendait
manifestement d’une riche famille japonaise et sa froideur n’était rien d’autre
que la réserve issue de sa bonne éducation.
Là sous la chaleur de la couverture électrique
du salon, la convivialité s’installait. Plus tard, la petite amie de Takafumi,
Madoka, nous rejoignit ainsi que deux autres des amis de Taka qui étaient de
véritables bon vivants.
Au cours du
dîner et de la soirée, l’ambiance était des plus chaleureuses et pour cause, la bierre japonaise avait fait son œuvre et il faut bien avouer qu’elle avait très fortement
opéré sur le pote de Takafumi qui, pour notre plus grand bonheur, avait
l’alcool joyeux.
La soirée se prépare |
C’est ainsi, dans cette convivialité
générale, que Madoka évoquait ses périples en Australie, que Taka nous
racontait l’histoire de sa famille, et permit à Flo -qui avait alors des
étoiles plein les yeux- de manier le Takana –arme traditionnelle japonaise-
ayant appartenu à son aïeul, officier dans l’armée impériale, que Flo opérait
ses tours de magie, et que le pote de Taka partait dans un débat passionné avec
Flo –à défaut d’être un débat passionnant- sur Naruto (un manga japonais).
Autour du Takana |
Nous tous! |
L’endroit est paisible. Après avoir
passé un joli pont de bois, qui serait l’un des plus vieux du Japon, nous
arrivons au temple dont l’authenticité nous conquiert.
Les Jizo montent la garde |
Le mangan-ji |
Comme d’habitude, ce qui nous
captive particulièrement, ce sont les couleurs : le rouge et le jaune des
érables et des ginkos qui se détachent du reste du paysage.
Le mangan-ji à la lumière des ginkos |
Ca c'est de la couleur! |
sous les érables |
Après cette halte bucolique, c’est
parti pour l’ascension d’une colline maintes fois empruntée par Taka dans ses
jeunes années puisqu’elle appartenait à sa famille. De là-haut, Taka nous
montre des points de repère et nous explique la géographie : « là-bas
c’est la maison, cette terre à gauche et bien elle appartenait à ma famille, la
grosse masse de constructions, c’est Hotaka, à droite une terre qui est dans ma
famille, ici c’est l’hôtel de mon frère et de là à de là c’est encore une terre
à nous… ». Comme nous l’avions déjà compris la veille Taka, et sa famille,
ne sont finalement pas n’importe qui. Son ami dont j’ai oublié le nom, mais
celui sur qui l'alcool avait bien fonctionné, nous avait prévenu hier soir: « Taka c’est une grande personnalité, c’est un leader que les gens d’ici
ont envie de suivre ».
En descendant de la colline, nous testons notre premier onsen qui était planté là, sur
une sorte de rond-point en pleine nature. Comme pour nous donner l’eau à la
bouche, cet onsen n’était qu’une sorte d’échantillon, puisqu’il ne s’agissait
que d’un onsen pour les pieds !
On se détend un peu –enfin … nos
pieds se détendent et le reste du corps est dégoûté par ce traitement de faveur-
et hop c’est parti pour un petit tour dans un autre temple également niché en
peine nature, puis pour un déjeuner dans un restaurant indien.
A l'entrée du second temple |
Ce ravitaillement effectué, on file
faire un petit coucou à Madoka, qui travaille dans l’hotel du frère de Taka,
puis nous atterrissons dans l’atelier de Taka situé quasiment face à l’hôtel de
son frère.
En effet, la veille Taka avait fait
saliver Flo en lui apprenant qu’il aimait travailler le bois, que la plupart
des meubles de sa maison était confectionnée par ses soins, et qu’il disposait
d’un immense atelier pour travailler sa passion.
Flo voulait absolument voir
ça !
En arrivant à l’atelier, et pour
satisfaire la curiosité du Fliflou, Taka fit ronronner les machines, sortit
différentes essences de bois et commença ses explications. Flo était aux anges.
Le programme que nous avait concocté
Taka nous menait ensuite à la wasabi farm et pas n’importe laquelle : la
plus grande du Japon, et donc du monde puisque seuls les japonais consomment
cet aliment !
Nous apprîmes donc que la culture du
wasabi se faisait sur le lit d’une rivière, afin que la plante soit
perpétuellement abreuvée d’eau fraiche, dont le fond a été tapissé de galets
disposés de telle sorte que le niveau d’eau requis pour cette culture soit
atteint à la perfection. Décidément ces japonais ils faisaient tout à la
perfection !
L'art de dompter la rivière |
la culture du wazabi |
A la sortie de cette visite, nous étions exténués d’une telle journée. Pour nous détendre, Taka nous proposa de tester un onsen, un vrai ! « Oui, oui, oui » me criaient mes bras, mon dos, mon cou et mes cuisses. « Hein, qu’est-ce qu’il a dit ? », rétorquaient mes pieds dont la bêtise naturelle n’avait pas permis d’assimiler l’information. Fort heureusement, ce ne sont pas mes pieds qui parlent. Aussi ma bouche avait-elle vite compris que le suffrage du « pour l’onsen » l’avait largement emporté sur le suffrage du « contre », et déclarait alors haut et fort que le corps de Sibylle ne réclamait que ça !
Le corps de Flo s’était également
prononcé en faveur de la chose.
C’était vendu.
Quelques minutes plus tard, et
quelques yens en moins, l’accueil de l’onsen nous délivrait à chacun un bac où
mettre nos affaires, la clef du vestiaire, et un minuscule serviette dont la
taille avoisinait nos gants de toilettes.
« Pas simple de ne se sécher
qu’avec ça » pensais-je.
Bien que nous n’ayons pas de
« mode d’emploi » de l’onsen, le Lonely planet nous avait enseigné
les rudiments : les onsens sont des bains naturels aménagés au-dessus
d’une source d’eau volcanique. Cette eau dont la chaleur est généralement
supérieure à 40 °C, très riche en minéraux, aurait des vertus thérapeutiques, et surtout permet de se détendre.
La nudité y est de rigueur. Afin d’éviter que cela se transforme en une
partouze géante, les hommes et les femmes sont séparés.
Flo et Taka prirent donc le chemin
des bains des hommes, tandis que pour ma part je suivais celui des femmes.
Lorsque je sortis de ma cabine, j’eu ce réflexe de me servir de ma serviette-gant
de toilette, comme Eve usait de la feuille de vigne. Tu me diras en
arrivant aux bassins, je constatais que la partie que je cachais –qui, si elle
avait réalisé ce qui lui arriverait, aurait certainement voté
« contre » lors du vote évoqué plus haut- n’était pas tellement différente de
celle des femmes japonaises. En revanche, mes chtoutchs n’avaient rien à voir
avec les leurs. Sans décrire mes chtoutchs, je dirais que les japonaises ont un
petit volume mais que leus rustines sont énormes.
En termes de cyclistes, nous dirions
que tout laissait croire qu’elles avaient crevé et qu’après l’apposition de la
rustine, la chose n’avait pas été regonflée.
Dans ces circonstances, ma
serviette-gant de toilette se déplaça du sud au nord. Seulement voilà, elle
était trop petite pour contenter chacun des chtoutchs. Une seule
alternative : il fallait vite s’enfoncer dans le bassin.
Cependant, là encore, autre rite japonais semblait s’opposer à l’exercice de cette alternative: les bains ne sont pas faits pour se laver. Il est donc nécessaire de bien se doucher avant de pénétrer dans le bassin, et les douches sont très visibles, histoire que tu ne tentes pas de les éviter... Je fais donc aussi vite que je peux, tout en me lavant fermement. Ca y est, je suis entièrement propre, je fonce dans le bassin extérieur, qui heureusement est quasiment vide.
Cependant, là encore, autre rite japonais semblait s’opposer à l’exercice de cette alternative: les bains ne sont pas faits pour se laver. Il est donc nécessaire de bien se doucher avant de pénétrer dans le bassin, et les douches sont très visibles, histoire que tu ne tentes pas de les éviter... Je fais donc aussi vite que je peux, tout en me lavant fermement. Ca y est, je suis entièrement propre, je fonce dans le bassin extérieur, qui heureusement est quasiment vide.
Ce n’est qu’à ce moment-là que toutes
les parties de mon corps purent savourer l’instant. L’instant dure. J’ai
conscience que les garçons m’ont donné rendez-vous une heure après que nous
nous soyons séparés mais franchement, après toutes les épreuves que les timides
parties de mon corps viennent du subir, j’ai vraiment besoin de me relaxer. En
regardant certaines femmes j’apprends que la micro-serviette se met sur la
tête. Je tente. C’est effectivement très agréable. La serviette mouillée permet
de se rafraîchir la tête -compte tenu de la température extérieure-, tandis que
le reste du corps continue de bouillir.
Après avoir testé un autre bassin,
je me décide donc d’honorer, avec le quart d’heure de politesse, le rendez-vous
fixé par les garçons.
Naturellement, lorsque nous nous
retrouvons j’interroge mon bien aimé. J’apprends qu’il a lui aussi tenté de se
servir de sa micro-serviette comme Adam le fit de sa feuille de vigne (et ouai,
depuis la nuit des temps, les hommes copient les femmes, faute de cervelle).
Seulement Flo compléta « en arrivant dans les bassins, j’ai vu la taille
des dards des japonais, et après j’étais beaucoup moins gêné: j’ai vite fait
tomber la serviette ».
Nous prenons le temps de passer à la
maison nous reposer un peu, avant de partir dîner, avec toute la bonne brochette
de la veille, dans une brasserie-karaoké.
Le pote de Taka, qui travaille chez
un concessionnaire, arrive, comme à son habitude, dans une nouvelle voiture, et
c’est reparti pour une folle soirée.
On nous distribue un classeur de
chansons. Le choix est difficile : il n’y a aucune chanson en français et seulement
de rares propositions en anglais. Tout le monde s’y met. Une fois que nos voix
étaient bien échaudées, Flo se sentait l’âme d’un chanteur. Il tenta de
m’embarquer dans un choix suicidaire « Viens on fait un duo sur it’s my life de Bon Jovi », je
m’obstinais à lui expliquer que c’était une chanson quasiment inchantable.
« Mais non » m’assura-t-il avant de monter, seul, sur l’estrade.
Dès les premières paroles, la
chanson échappait à Flo, et je souriais en pensant au refrain qui arrivait.
Ca y est, le refrain est là et Flo
ne pouvait chanter plus faux. Tout le monde explose de rire, même lui ! On
aurait dit un cheval qui avait raté une haie. Comme si le gérant de la
brasserie ne souhaitait pas que cet instant magique ne s’arrêtât, je le
soupçonne d’avoir mis en boucle le refrain afin que la scène se répétât à
l’infini. Flo était ainsi condamné à retenter l’exploit. « It’s my life,
it’s now or never » tentait-il désespérément. Mais les justes notes
demeuraient absentes.
Il n’y avait pas de doute : Flo
avait enflammé la salle et certainement les réseaux sociaux japonais si un
membre du public a eu la lucidité d’immortaliser ce bêtisier.
Encore une soirée à la folle
ambiance !
En fin de soirée, l’ami de Taka, qui
adorait manifestement le personnage de Flo, faisait tout un cinéma pour que Flo
passe chez lui chercher le cadeau qu’il lui avait préparé. En quittant la
brasserie, nous passions donc chez cet ami qui avait mis de côté un Kunai –une
sorte de dague de lancée des ninjas- de Naruto (le fameux manga qui constituait
la passion commune de Flo et de l’ami) ; Ce présent toucha Flo qui
multipliait les « aligato cosaimas » (« mercis »).
Décidément, ce séjour chez Taka,
avait été riche en partage, et nous ne sommes pas prêts de l’oublier. Taka nous
avait fait vivre, avec lui, sa région et son quotidien, et nous étions tombé
sous le charme des trois : la région, le quotidien et les habitants.
C’est donc le cœur serré que Taka
nous déposa à la gare routière d’Hotaka le lendemain matin, afin que nous
puissions nous rendre à Matsumoto.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire