mardi 2 août 2016

Hotaka 穂高岳 : Où Takafumi donne tout son sens à cette halte

A l’heure à laquelle j’écris ces mots nos souvenirs de ce merveilleux voyage se sont quelques peu dissipés et je dois faire travailler mes méninges pour tenter de retranscrire fidèlement la réalité.

En effet, nous sommes le 2 août 2016, soit environ un an et demi après avoir vécu les faits que je m’apprête à relater ici. Pourquoi un tel retard ? Depuis notre retour à Paris, la flemme de raconter un voyage (dont j’ai eu, pour ma part, du mal à accepter qu’il était terminé) nous a gagné. Nous devions passer à autre chose, et nous pensions que le retard que nous avions cumulé dans la narration de nos aventures serait aisément rattrapable. Oui, mais c’était sans compter sur notre quotidien parisien qui nous éloignait chaque jours de notre voyage rendant ainsi plus difficile la narration de souvenirs et de sensations qui s’envolaient vers les contrées de l’oubli et de la nostalgie.
Se remettre à écrire relevait du défi : nous avions oublié, nous avions peur de ne pas être fidèles à la réalité, nous n’avions plus envie de nous réfugier dans le passé, nous étions passés à autre chose.

Aujourd’hui, nous nous sommes mariés, et nous attendons notre premier enfant qui arrivera dans un peu plus de deux mois. Cet être que nous ne connaissons pas encore nous met la pression. Nous devons avoir terminé notre livre de voyage avant son arrivée. On ne sait jamais, des fois qu’il sache lire dès sa naissance et qu’il ait d’ores et déjà épuisé toute la littérature classique…

Cette fois, nous avons donc un mobile : nous voulons parler du passé pour l’avenir. La reprise de nos récits a, à nouveau, un sens. C’est reparti !


***

Au début de ce mois de novembre 2014, nous recherchions un hôte à Matsumoto, une minuscule ville, nichée dans la région des Alpes Japonaises. L'objectif de cette halte résidait dans la visite son château dont le Lonely faisait toutes les éloges. Oui, on restait sur notre faim questions châteaux et on en voulait encore !

Sur le site de couchsurfing il n’y a que deux ou trois hôtes pour cette destination. Seul l’un nous a répondu : Takafumi.

Seulement, il ne pourrait pas nous accueillir le temps que nous souhaitions initialement mais uniquement deux nuits, car, disait-il, il n’avait pas le temps de s’occuper de nous. Par ailleurs, il nous précisait que sa maison  n’était pas située à Matsumoto même, mais non loin du village d'Hotaka, une « banlieue » éloignée de Matsumoto.
«Bon ce n’est pas grave, on verra sur place nous, au pire, nous prendrons le train régional qui sépare Hotaka de Matsumoto pour visiter le château» pensions nous. Et en tout état de cause, nous n’avions pas besoin d’un hôte qui nous tienne la main pendant tout notre séjour !

C’est ainsi que nous retrouvons Takafumi à Hotaka station dans la pénombre d’un soir automnal. Celui-ci nous mena directement chez lui en voiture.
C’est alors que nous nous rendions compte que la localisation de l’antre de Takafumi posait un problème : sa maison était en pleine campagne à environ 15 minutes de voiture d’Hotaka. La perspective de la visite de Matsumoto s’éloignait donc définitivement.

A première vue, l’homme était plutôt froid. Il nous ouvrit les portes de sa maison, une merveille traditionnelle japonaise, et nous indiqua notre chambre.
Dans le même style que la maison notre chambre fut l’une des plus belles que nous ayons eues de tout notre voyage au Japon : meubles japonais anciens, shojis, tatamis et futon.

Alors que Takafumi vaquait à ses occupations, nous n’osions pas vraiment sortir de la chambre de peur de le déranger. Au bout d’un certain temps, Flo partit explorer la maison et finit par tomber sur Takafumi qui nous attendait dans le salon.

« N’hésitez pas à venir au salon si cela vous tente » lançait-il à Flo. Nous n’attendions que ça ! Et c’est ainsi que nous faisions plus ample connaissance avec celui qui nous accueillait qui, loin d’être froid, respirait la convivialité, et pas n’importe laquelle : celle que nous aimions.

Oui, Takafumi descendait manifestement d’une riche famille japonaise et sa froideur n’était rien d’autre que la réserve issue de sa bonne éducation.

Takafumi
Là sous la chaleur de la couverture électrique du salon, la convivialité s’installait. Plus tard, la petite amie de Takafumi, Madoka, nous rejoignit ainsi que deux autres des amis de Taka qui étaient de véritables bon vivants.

Au cours du dîner et de la soirée, l’ambiance était des plus chaleureuses et pour cause, la bierre japonaise avait fait son œuvre et il faut bien avouer qu’elle avait très fortement opéré sur le pote de Takafumi qui, pour notre plus grand bonheur, avait l’alcool joyeux.


La soirée se prépare



C’est ainsi, dans cette convivialité générale, que Madoka évoquait ses périples en Australie, que Taka nous racontait l’histoire de sa famille, et permit à Flo -qui avait alors des étoiles plein les yeux- de manier le Takana –arme traditionnelle japonaise- ayant appartenu à son aïeul, officier dans l’armée impériale, que Flo opérait ses tours de magie, et que le pote de Taka partait dans un débat passionné avec Flo –à défaut d’être un débat passionnant- sur Naruto (un manga japonais).


Autour du Takana


Nous tous!
Le lendemain, Taka nous fit visiter les alentours, à commencer par le Mangan-ji –un temple bouddhiste-, gardé par six jiz « jizo », protecteurs des enfants dans le bouddhisme japonais.
L’endroit est paisible. Après avoir passé un joli pont de bois, qui serait l’un des plus vieux du Japon, nous arrivons au temple dont l’authenticité nous conquiert.


Les Jizo montent la garde


Le mangan-ji
Comme d’habitude, ce qui nous captive particulièrement, ce sont les couleurs : le rouge et le jaune des érables et des ginkos qui se détachent du reste du paysage.


Le mangan-ji à la lumière des ginkos

Ca c'est de la couleur!
sous les érables
Après cette halte bucolique, c’est parti pour l’ascension d’une colline maintes fois empruntée par Taka dans ses jeunes années puisqu’elle appartenait à sa famille. De là-haut, Taka nous montre des points de repère et nous explique la géographie : « là-bas c’est la maison, cette terre à gauche et bien elle appartenait à ma famille, la grosse masse de constructions, c’est Hotaka, à droite une terre qui est dans ma famille, ici c’est l’hôtel de mon frère et de là à de là c’est encore une terre à nous… ». Comme nous l’avions déjà compris la veille Taka, et sa famille, ne sont finalement pas n’importe qui. Son ami dont j’ai oublié le nom, mais celui sur qui l'alcool avait bien fonctionné, nous avait prévenu hier soir: « Taka c’est une grande personnalité, c’est un leader que les gens d’ici ont envie de suivre ».

En descendant de la colline, nous testons notre premier onsen qui était planté là, sur une sorte de rond-point en pleine nature. Comme pour nous donner l’eau à la bouche, cet onsen n’était qu’une sorte d’échantillon, puisqu’il ne s’agissait que d’un onsen pour les pieds !

On se détend un peu –enfin … nos pieds se détendent et le reste du corps est dégoûté par ce traitement de faveur- et hop c’est parti pour un petit tour dans un autre temple également niché en peine nature, puis pour un déjeuner dans un restaurant indien.


A l'entrée du second temple

Ce ravitaillement effectué, on file faire un petit coucou à Madoka, qui travaille dans l’hotel du frère de Taka, puis nous atterrissons dans l’atelier de Taka situé quasiment face à l’hôtel de son frère.

En effet, la veille Taka avait fait saliver Flo en lui apprenant qu’il aimait travailler le bois, que la plupart des meubles de sa maison était confectionnée par ses soins, et qu’il disposait d’un immense atelier pour travailler sa passion.
Flo voulait absolument voir ça !
En arrivant à l’atelier, et pour satisfaire la curiosité du Fliflou, Taka fit ronronner les machines, sortit différentes essences de bois et commença ses explications. Flo était aux anges.

Le programme que nous avait concocté Taka nous menait ensuite à la wasabi farm et pas n’importe laquelle : la plus grande du Japon, et donc du monde puisque seuls les japonais consomment cet aliment !
Nous apprîmes donc que la culture du wasabi se faisait sur le lit d’une rivière, afin que la plante soit perpétuellement abreuvée d’eau fraiche, dont le fond a été tapissé de galets disposés de telle sorte que le niveau d’eau requis pour cette culture soit atteint à la perfection. Décidément ces japonais ils faisaient tout à la perfection !


L'art de dompter la rivière


la culture du wazabi

le wasabi, à consommer avec modération














A la sortie de cette visite, nous étions exténués d’une telle journée. Pour nous détendre,  Taka nous proposa de tester un onsen, un vrai ! « Oui, oui, oui » me criaient mes bras, mon dos, mon cou et mes cuisses. « Hein, qu’est-ce qu’il a dit ? », rétorquaient mes pieds dont la bêtise naturelle n’avait pas permis d’assimiler l’information. Fort heureusement, ce ne sont pas mes pieds qui parlent. Aussi ma bouche avait-elle vite compris que le suffrage du « pour l’onsen » l’avait largement emporté sur le suffrage du « contre », et déclarait alors haut et fort que le corps de Sibylle ne réclamait que ça !
Le corps de Flo s’était également prononcé en faveur de la chose.
C’était vendu.

Quelques minutes plus tard, et quelques yens en moins, l’accueil de l’onsen nous délivrait à chacun un bac où mettre nos affaires, la clef du vestiaire, et un minuscule serviette dont la taille avoisinait nos gants de toilettes.
« Pas simple de ne se sécher qu’avec ça » pensais-je.

Bien que nous n’ayons pas de « mode d’emploi » de l’onsen, le Lonely planet nous avait enseigné les rudiments : les onsens sont des bains naturels aménagés au-dessus d’une source d’eau volcanique. Cette eau dont la chaleur est généralement supérieure à 40 °C, très riche en minéraux, aurait des vertus thérapeutiques, et surtout permet de se détendre. La nudité y est de rigueur. Afin d’éviter que cela se transforme en une partouze géante, les hommes et les femmes sont séparés.

Flo et Taka prirent donc le chemin des bains des hommes, tandis que pour ma part je suivais celui des femmes. Lorsque je sortis de ma cabine, j’eu ce réflexe de me servir de ma serviette-gant de toilette, comme Eve usait de la feuille de vigne. Tu me diras en arrivant aux bassins, je constatais que la partie que je cachais –qui, si elle avait réalisé ce qui lui arriverait, aurait certainement voté « contre » lors du vote évoqué plus haut- n’était pas tellement différente de celle des femmes japonaises. En revanche, mes chtoutchs n’avaient rien à voir avec les leurs. Sans décrire mes chtoutchs, je dirais que les japonaises ont un petit volume mais que leus  rustines sont énormes.
En termes de cyclistes, nous dirions que tout laissait croire qu’elles avaient crevé et qu’après l’apposition de la rustine, la chose n’avait pas été regonflée.

Dans ces circonstances, ma serviette-gant de toilette se déplaça du sud au nord. Seulement voilà, elle était trop petite pour contenter chacun des chtoutchs. Une seule alternative : il fallait vite s’enfoncer dans le bassin.
Cependant, là encore, autre rite japonais semblait s’opposer à l’exercice de cette alternative: les bains ne sont pas faits pour se laver. Il est donc nécessaire de bien se doucher avant de pénétrer dans le bassin, et les douches sont très visibles, histoire que tu ne tentes pas de les éviter... Je fais donc aussi vite que je peux, tout en me lavant fermement. Ca y est, je suis entièrement propre, je fonce dans le bassin extérieur, qui heureusement est quasiment vide.

Ce n’est qu’à ce moment-là que toutes les parties de mon corps purent savourer l’instant. L’instant dure. J’ai conscience que les garçons m’ont donné rendez-vous une heure après que nous nous soyons séparés mais franchement, après toutes les épreuves que les timides parties de mon corps viennent du subir, j’ai vraiment besoin de me relaxer. En regardant certaines femmes j’apprends que la micro-serviette se met sur la tête. Je tente. C’est effectivement très agréable. La serviette mouillée permet de se rafraîchir la tête -compte tenu de la température extérieure-, tandis que le reste du corps continue de bouillir.
Après avoir testé un autre bassin, je me décide donc d’honorer, avec le quart d’heure de politesse, le rendez-vous fixé par les garçons.

Naturellement, lorsque nous nous retrouvons j’interroge mon bien aimé. J’apprends qu’il a lui aussi tenté de se servir de sa micro-serviette comme Adam le fit de sa feuille de vigne (et ouai, depuis la nuit des temps, les hommes copient les femmes, faute de cervelle). Seulement Flo compléta « en arrivant dans les bassins, j’ai vu la taille des dards des japonais, et après j’étais beaucoup moins gêné: j’ai vite fait tomber la serviette ».

Nous prenons le temps de passer à la maison nous reposer un peu, avant de partir dîner, avec toute la bonne brochette de la veille, dans une brasserie-karaoké.
Le pote de Taka, qui travaille chez un concessionnaire, arrive, comme à son habitude, dans une nouvelle voiture, et c’est reparti pour une folle soirée.

On nous distribue un classeur de chansons. Le choix est difficile : il n’y a aucune chanson en français et seulement de rares propositions en anglais. Tout le monde s’y met. Une fois que nos voix étaient bien échaudées, Flo se sentait l’âme d’un chanteur. Il tenta de m’embarquer dans un choix suicidaire « Viens on fait un duo sur it’s my life de Bon Jovi », je m’obstinais à lui expliquer que c’était une chanson quasiment inchantable. « Mais non » m’assura-t-il avant de monter, seul, sur l’estrade.

Dès les premières paroles, la chanson échappait à Flo, et je souriais en pensant au refrain qui arrivait.
Ca y est, le refrain est là et Flo ne pouvait chanter plus faux. Tout le monde explose de rire, même lui ! On aurait dit un cheval qui avait raté une haie. Comme si le gérant de la brasserie ne souhaitait pas que cet instant magique ne s’arrêtât, je le soupçonne d’avoir mis en boucle le refrain afin que la scène se répétât à l’infini. Flo était ainsi condamné à retenter l’exploit. « It’s my life, it’s now or never » tentait-il désespérément. Mais les justes notes demeuraient absentes.
Il n’y avait pas de doute : Flo avait enflammé la salle et certainement les réseaux sociaux japonais si un membre du public a eu la lucidité d’immortaliser ce bêtisier.

Encore une soirée à la folle ambiance !

En fin de soirée, l’ami de Taka, qui adorait manifestement le personnage de Flo, faisait tout un cinéma pour que Flo passe chez lui chercher le cadeau qu’il lui avait préparé. En quittant la brasserie, nous passions donc chez cet ami qui avait mis de côté un Kunai –une sorte de dague de lancée des ninjas- de Naruto (le fameux manga qui constituait la passion commune de Flo et de l’ami) ; Ce présent toucha Flo qui multipliait les « aligato cosaimas » (« mercis »).

Décidément, ce séjour chez Taka, avait été riche en partage, et nous ne sommes pas prêts de l’oublier. Taka nous avait fait vivre, avec lui, sa région et son quotidien, et nous étions tombé sous le charme des trois : la région, le quotidien et les habitants.

C’est donc le cœur serré que Taka nous déposa à la gare routière d’Hotaka le lendemain matin, afin que nous puissions nous rendre à Matsumoto.


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